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Augusto Salvador


L'Orgue de Barbarie. François Édouard Joachim Coppée, (París, 26 de enero de 1842 - Ib., 23 de mayo de 1908), poeta, dramaturgo y novelista francés del Parnasianismo.


Histoire courte Tout public.
Histoire courte
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I

Que la musique est nostalgique! Comme elle évoque douloureusement les vieux souvenirs! Et combien lamentable, au fond du crépuscule de Novembre, le son pleurard de l'orgue de Barbarie qui joue une ancienne polka!

Un ancien air de polka qui faisait sauter tout Paris il y a quinze ans, quand vous en aviez dix-huit à peine, madame! Oui! vous, la pauvre blonde flétrie, qui portez un chapeau de velours bleu bien fané pour ses brides neuves, et qui poussez la petite voiture où dort votre troisième bébé, sous les platanes sans feuilles du triste boulevard de banlieue.

Comme vous étiez jolie, du temps où l'on tapotait cette polka dans les sauteries bourgeoises à verres de sirop et à gâteaux secs! Quelle matinée de printemps vous faisiez alors avec votre frais visage d'un ovale corrégien et ces admirables cheveux ondés, couleur de blé mûr, dont vous avez perdu la moitié, hélas! à votre deuxième couche!

Sans dot!... Oui! vous n'aviez pas de dot. Pouvait-il en être autrement pour la fille d'un honnête sous-chef, n'obtenant régulièrement de ses supérieurs que cette note désespérante: «Bon et modeste serviteur, très utile dans son emploi», de ce pauvre bonhomme qui, dans les bals où il vous accompagnait, n'osait pas s'asseoir à la table de whist à dix sous la fiche, et tâtait constamment la poche de son gilet, pour s'assurer qu'il n'avait pas perdu les trois francs du fiacre de nuit?

Sans dot!... Toutes les glaces du salon vous disaient que vous n'en aviez pas besoin, quand vous entriez au bras de votre père, radieuse dans un brouillard rose. Qui pouvait se douter que la maman, restée au logis pour cause de toilette, avait repassé votre jupon sur la table de la salle à manger et que vous-même aviez coupé et cousu votre robe? N'étiez-vous pas gantée jusqu'au coude? Comment aurait-on su que vous aviez des piqûres d'aiguille au bout des doigts?

Écoutez la vieille polka que joue l'orgue de Barbarie haletant, au fond du crépuscule de Novembre. Ne dirait-on pas le chant d'une folle, entrecoupé de sanglots?

Il vous invitait souvent à la danser avec lui, cette polka, le beau jeune homme brun, à la moustache militaire, si élégant dans son frac bien coupé, que, dans vos pensées, vous appeliez par son petit nom, Frédéric. Il vous invitait à la danser avec lui, cette polka, et la mazourke aussi, et la valse. Votre voix tremblait un peu, quand vous répondiez: «Oui, monsieur;» et votre main aussi tremblait, quand vous la mettiez dans la sienne. Car c'était un fils de famille, un assez mauvais sujet, disait-on, qui avait eu un duel,—quel prestige!—et dont le père avait deux fois payé les dettes.

Comme il vous entraînait par la taille, d'une main ferme, et, dans les minutes de repos où vous vous appuyiez sur son bras, toute souriante et respirant vite, comme il vous troublait en vous regardant tout à coup dans les yeux et en vous adressant, d'une voix basse et chaude,—sur un rien, sur un détail de votre toilette, sur la fleur de vos cheveux,—un compliment très respectueux dans les termes, mais où vous deviniez on ne sait quel sous-entendu, qui vous faisait à la fois peur et plaisir!

Hélas! un jeune gaillard comme M. Frédéric n'était pas fait pour s'attarder dans les bals à verres d'orgeat. Il s'en alla vers d'autres fêtes; et, sans vous l'avouer à vous-même, vous en fûtes triste, n'est-ce pas? Puis deux, trois, quatre, cinq années s'écoulèrent. Vous ne mettiez plus de robe rose, étant devenue un peu pâle, et, dans les sauteries bourgeoises où le répertoire musical ne change guère, on jouait toujours la vieille polka qui vous rappelait M. Frédéric.

A la fin, il a fallu voir les choses comme elles étaient, prendre un parti, et vous avez épousé le timide garçon qui faisait danser les demoiselles osseuses et frisant la trentaine. Jadis, vous aviez plus d'une fois oublié son tour de quadrille, bien qu'il fût inscrit sur votre petit carnet d'ivoire. Alors il vous faisait un peu pitié, convenez-en, ce bon M. Jules, avec ses cravates blanches trop empesées et ses gants nettoyés à la gomme élastique. Vous l'avez épousé, pourtant, et c'est, après tout, un travailleur, un brave père de famille. Il est maintenant sous-chef, comme feu monsieur votre père, et il obtient la même note décourageante: «Modeste et utile serviteur; à maintenir dans son service.» Quand vous lui avez donné son deuxième garçon, il est venu un peu d'ambition au pauvre homme, et, pour avoir de l'avancement, il a publié deux petites brochures spéciales; mais on s'est acquitté envers lui en le décorant des palmes académiques.

Trois enfants,—deux fils d'abord, et une gamine, venue bien plus tard,—c'est lourd! Heureusement que l'aîné est au collège, pourvu d'une demi-bourse. Avec beaucoup d'économie, on joint les deux bouts. Mais quelle vie médiocre et triviale! Le père, lui, part dès le matin, en emportant son déjeuner—un pain fourré et une fiole d'eau rougie—dans les poches de son pardessus; car, avant de s'installer sur son rond de cuir ministériel, il va faire un cours de géographie dans les pensionnats de jeunes filles. Vous, madame, vous n'avez pas le temps de vous ennuyer, et la journée est courte pour qui a tant à faire. Cependant, jamais un plaisir! Depuis un an, vous n'êtes allée qu'une fois au spectacle, en Septembre dernier, voir le Domino noir, avec des billets de faveur.

Vous êtes résignée, vaincue, sans doute. Mais ce vieil air de polka que joue toujours l'orgue obstiné vous fait souvenir que, l'autre soir, poussant comme aujourd'hui devant vous la petite voiture où dort votre enfant, et traversant ce même boulevard, vous avez failli être écrasée par une fringante victoria, et que vous avez reconnu, bien installé sous les couvertures, le beau M. Frédéric en personne, resté le même, ayant l'air toujours jeune des gens heureux, qui vous a jeté un regard dur en criant: «Maladroit!» à son cocher.

N'est-ce pas, que cet orgue est insupportable?... Il se tait, heureusement. Et voici que la nuit monte. Là-bas, au bout du triste boulevard de banlieue, sur la fumée rouge qui succède au coucher du soleil, le gaz qu'on allume fait éclore ses étoiles blêmes. Rentrez à la maison, madame Jules. Votre second fils doit être déjà revenu de l'école, et, quand vous n'êtes pas là, il n'apprend jamais sa leçon du lendemain avant le dîner. Rentrez à la maison, madame Jules. Votre mari va bientôt revenir de son bureau, plein de fatigue et de faim, et vous savez bien que, sans vous, la petite bonne à vingt-cinq francs par mois serait incapable de «raccommoder» avec des pommes de terre et des oignons le reste du boeuf d'hier soir.

27 Mai 2018 22:50 0 Rapport Incorporer Suivre l’histoire
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