La femme qui regardait la caméra, lors de la dernière prise pour la publicité, était parfaite. Le casting et la production avaient été vraiment réussis. Il ne pouvait en être autrement, parce que Matthew Talley avait tout supervisé. Il ne voulait rien laisser au hasard. Certains le trouvaient trop pointilleux, Matt se disait plutôt perfectionniste. Et si le client voulait atteindre les résultats escomptés, c’était le rôle de Matt de superviser le processus pour s’en assurer.
Matt garantissait l’excellence, et il la délivrait. C’est pour cela qu’à 32 ans, il était déjà considéré comme l’un des meilleurs publicitaires de San Francisco. Son travail était pluridimensionnel et exigeant mais il l’aimait et il savait créer des stratégies pour des concepts innovants, ce qui attirait les grands comptes. Le besoin de sécurité matérielle dont il manquait enfant persistait encore en lui comme un monstre impitoyable qui le poussait à toujours se challenger et relever tous les défis professionnels qui se présentaient. Il avait gagné son prestige à la force de son travail, raison pour laquelle il était particulièrement possessif avec tout ce qui lui appartenait. Quand il se battait pour un compte ou une idée, il le faisait avec ardeur, et sans considération d’ordre émotionnel. Dans son monde, il n’y avait pas de temps pour le sentimentalisme. Il fallait survivre, et il était combattif par nature.
«Dieu merci, on en a fini avec ce dossier client.», se dit Matt alors que les dirigeants et le représentant de Yellow Energy, la société de boissons gazeuses pour laquelle il avait travaillé sur la campagne, s’approchaient de lui pour lui dire au revoir.
Il traîna pratiquement les pieds hors du studio d’enregistrement vers le parking. Il était éreinté. La vie de publicitaire pouvait parfois être une véritable nuisance, même si les revenus compensaient largement le temps investi et la patience exigée.
Quand il rentra chez lui, il s’installa devant la télévision comme il aimait le faire : en boxer, une bière bien fraîche à la main, et la chaîne sportive à fond. Il étira ses longues jambes musclées sur un fauteuil qui avait déjà bien vécu mais qui restait malgré tout son fauteuil préféré, et il ne pensait pas s’en débarrasser de si tôt. Il soupira avec soulagement. «Enfin tranquille.»
La vie de Matt n’avait pas toujours été paisible. En fait, il avait eu du mal à se frayer un chemin parce qu’il venait de quartiers pauvres et qu’il n’avait pour seules armes que sa ténacité, son désir insatiable de se surpasser, et son esprit agile. À l’âge de 10 ans, il devait voler pour pouvoir manger. Il dut également courir plus d’une fois dans sa vie pour échapper à son beau-père ivrogne et violent. Il n’avait pas honte de ses origines, parce que les mésaventures qu’il avait vécues avaient forgé son caractère et sa détermination, lui permettant de se démarquer dans sa carrière. Une minute de son temps valait une petite fortune.
Après cinq années passées à travailler pour l’agence Spring & Marsden en tant que directeur des comptes VIP, il visait un poste plus élevé, qu’il pourrait obtenir après avoir gagné le compte Harrington, une chaîne prestigieuse spécialisée dans les bijoux. Le propriétaire voulait déployer une campagne nationale pour positionner son entreprise face à la concurrence. Matt avait passé avec succès le premier appel d’offres. L’étape finale aurait lieu dans un mois. Il était impatient de coordonner son équipe et de se mettre au travail.
Andrew Spring en personne avait assuré à Matt qu’il serait promu associé de l’agence s’il arrivait à obtenir la campagne Harrington. Ce privilège rare n’était généralement accordé qu’aux publicitaires qui avaient au moins vingt ans d’ancienneté dans l’entreprise. Mais Matt avait acquis la considération de ses chefs sur la base des résultats. En le promouvant, ils voulaient lui montrer la confiance qu’ils avaient dans ses capacités professionnelles.
Au quotidien, Matt n’avait jamais assez de temps, mais il s’était promis de mieux gérer son planning pour pouvoir rendre visite à sa sœur Lilly, qui vivait avec son fils de deux ans, Peter, et son mari, Dermont, à Boston. Dermont Jackson était l’un de ses meilleurs amis. Ils se connaissaient depuis le lycée et avaient été à l’université ensemble. Ils se fréquentaient souvent, pour étudier et pour sortir, et la sœur de Matt avait toujours fait partie de leur groupe d’amis. C’est pourquoi il n’avait pas vraiment été surpris que Lilly sorte avec son meilleur ami, et que peu de temps après, ils lui annoncent leur mariage. Matt avait accompagné son unique sœur à l’autel.
Le grand absent de la cérémonie avait été son père, Elliot Talley. Il les avait abandonnés alors que Matt avait 7 ans, pour s’adonner à sa passion, l’alcool. Monique, sa mère, semblait avoir une faiblesse pour les ivrognes, car un an après cet abandon, elle tomba amoureuse d’un autre ivrogne, Heath Bourbon. Non seulement elle épousa Heath, mais elle le laissa les maltraiter. Matt se chargea de protéger Lilly et composa avec le reste, à savoir les insultes et les coups. Ce fut une période triste de sa vie. Une parmi tant d’autres.
Cet épisode faisait désormais partie de son passé. Maintenant, détendu dans son penthouse, il suivait le match des Lakers sur la chaîne des sports. Il ne prêtait pas beaucoup d’attention au jeu, parce que ses yeux se fermaient de fatigue. La journée avait été dure.
La sonnerie de son téléphone le réveilla immédiatement. «Qui diable pouvait bien l’appeler à 22H30 ? Était-ce vraiment trop demander de le laisser se reposer un peu ?»
- Allô, répondit-il sur un ton agacé.
- Matt ?
- Oui. Qui est-ce ?
Sa tête ne reconnaissait aucune voix à part celle de ses muscles qui l’implorait d’aller se reposer sur son matelas confortable.
- Mon ami, désolé de te déranger à cette heure tardive. Je sais que la campagne avec les propriétaires de la chaîne de boissons est terminée. Je viens de recevoir un e-mail du propriétaire de Yellow Energy me disant qu’il en est très satisfait. Félicitations.
- Merci, John.
Il avait reconnu la voix de son chef.
- Que puis-je faire pour toi ?
John Marsden, le deuxième associé principal de Spring & Marsden, était un sexagénaire new-yorkais, veuf. Il avait l’habitude de dire qu’il était tombé amoureux de San Francisco une nuit où il était de passage dans la ville, en voyant la baie éclairée, le Golden Gate en arrière-plan. Ca arrivait à beaucoup de personnes, mais généralement pas au point de déménager de la cosmopolite et vibrante New York pour la paisible et accueillante San Francisco.
Matt avait rencontré John quand il était son professeur de Croyances du Consommateur, à l’université. A l’époque, il était déjà une légende de la publicité, et il avait félicité Matt pour sa capacité à cerner les forces et les faiblesses d’une marque et à en tirer des concepts publicitaires innovants. Matt devint rapidement son assistant.
Le jour où Matt obtint son diplôme, John lui annonça que les portes de Spring & Marsden lui étaient grandes ouvertes s’il voulait faire partie de l’agence la plus prestigieuse de la côte ouest des États-Unis. C’était très flatteur. Toutefois, Matt attendit plusieurs années avant de frapper à cette porte, parce qu’il voulut d’abord acquérir suffisamment d’expérience dans le monde du travail pour avoir un meilleur poste et un meilleur salaire au sein de Marsden. Et c’est ce qui arriva.
Pendant la période de transition entre la sortie de l’université et ses premiers emplois, John lui ouvrit les portes de sa maison. Ils avaient forgé une amitié solide. Matt voyait en John, plus que son ami, le père qu’il avait toujours voulu avoir.
- D’habitude, je n’aime pas demander de service à mes proches...
Il resta silencieux une minute.
- Tu te souviens de ma fille Victoria, Matt ?
Matt se rappelait d’une adolescente qui portait un appareil dentaire et qui défendait son point de vue dans toutes les conversations. Des cheveux un peu désordonnés, des yeux bleus clairs et lumineux, une peau blanche, un petit nez retroussé et des lèvres généreuses. Bien sûr qu’il se rappelait de Victoria. Il l’avait vue de loin à quelques brèves occasions au cours des dernières années, mais il ne s’était jamais approché d’elle pour la saluer. Il ne savait même pas pourquoi.
- Oui, je m’en rappelle. Que se passe-t’il ?
Le chef de Matt poussa un soupir.
- Il y a environ trois ans, ma fille a ouvert sa propre agence. Ses bureaux sont actuellement en rénovation et elle a besoin d’un espace de travail temporaire. Je veux lui donner un coup de main, mais elle est très fière, et je ne veux pas qu’elle le sache. En plus, tu sais comment ça se passe, les retards, les restructurations, les contrats... Bref. Écoute, je ne veux pas que tu perdes le fil de ton travail quotidien, parce que dans ce métier, il faut garder le rythme...
Matt leva les yeux au ciel. Il le voyait venir.
- De quel espace parles-tu ?, demanda-t’il en buvant une gorgée de bière.
- J’aimerais que tu lui permettes de partager ton bureau.
Son bureau était très spacieux, mais cela ne le réjouissait pas de le partager avec qui que ce soit.
- Hum… Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, John.
En plus d’un problème de confidentialité, il n’avait pas envie de s’occuper de la fille de son patron, ni de jouer au professeur.
- Nous avons des dossiers confidentiels dans nos archives, et même si elle a autant d’éthique que toi, à partir du moment où elle a une agence, alors elle est aussi une concurrente.
John avait anticipé ce que Matt allait lui dire. Il ne voulait pas divulguer les affaires personnelles de sa fille, car elle ne lui parlerait plus pendant au moins dix ans s’il le faisait. Il ne pouvait pas se le permettre, parce que Victoria était sa seule famille.
- Matt, en fait, je veux que tu l’intègres dans ton équipe sans qu’elle sache que je t’ai passé cet appel. Et pour la question des archives confidentielles, techniquement il ne s’agit pas de concurrence. Son agence ne peut pas fonctionner tant qu’elle est en rénovation. Je veux l’aider à apprendre à gérer des grands comptes, comme ceux de Spring & Marsden. Engage-la dans ton équipe. Tu seras un bon patron pour elle. Je le sais, mon ami.
- Pourquoi ?, demanda Matt en prenant une autre gorgée de bière. Il s’assit, le téléphone à l’oreille, sur l’une des chaises de la salle à manger, dont la fenêtre donnait sur la baie. Cette vue était l’une des raisons qui l’avaient poussé à acheter son magnifique penthouse.
- Si tu me demandes un tel service, j’aimerais bien savoir pourquoi.
John resta silencieux un moment avant de poursuivre. Bien qu’il soit l’un des propriétaires de l’agence, et qu’il pouvait donc donner tous les ordres qu’il voulait à Matt, il ne pouvait pas inclure une personne dans son équipe de manière arbitraire, du moins non sans créer un certain inconfort. Et ce n’est pas ce qu’il cherchait.
- Tu es mon associé, dans l’ombre pour le moment, dit-il en s’éclaircissant la gorge. Victoria veut prendre son temps avant de rouvrir son agence. En tout cas, tu peux l’appeler et lui faire une proposition, n’est-ce pas ? Tu es le troisième à bord aux commandes.
« Il sait quelle fibre toucher. Il me connaît bien.», se dit Matt en souriant.
- Paul Harrington est un gros bonnet et je suis sûr que tu réussiras à gagner ce client.
Matt était déterminé à obtenir sa promotion à Spring & Marsden, et il ne laisserait rien se mettre entre le compte Harrington et sa nomination. Peut-être que pour Brian Lewis, son équivalent dans l’agence concurrente, Butler & Partners, remporter ce compte ne représentait qu’une simple augmentation de salaire, mais pour lui, cela allait bien au-delà : ce serait l’aboutissement de ce qu’il désirait le plus professionnellement. Au passage, il serait ravi de mettre un coup à l’ego de Lewis. Ce type était insupportable.
- Pourquoi ne pas demander à Jonas Petersen de l’engager dans son équipe ?, demanda Matt. J’ai cru comprendre qu’il avait de nouveaux clients.
- Ce sont de petits comptes...
- Laisse-moi comprendre. Tu veux que j’engage Victoria parce que dans mon équipe, les commissions sont plus élevées?
- Victoria a eu une mauvaise passe financière, répondit-il à contrecœur. Elle n’accepte pas mon aide. Alors...
- Tu veux lui faire comprendre qu’elle peut gagner un salaire élevé dans une équipe qui génère de gros revenus.
- Dans les grandes lignes, c’est ça.
- Mais John, c’est ton entreprise... c’est ton héritière. C’est incompréhensible de lui dire que je vais l’embaucher alors que l’agence lui appartient.
- Rends-le compréhensible, dit-il sur un ton dur.
Matthew savait qu’il avait trop insisté.
- Je dirai à Marla de la contacter, répliqua-t’il sur un ton neutre.
Il détestait qu’on lui impose quoi que ce soit, mais il détestait encore plus servir de baby-sitter. Il avait l’intention de traiter Victoria avec rigueur, de la même façon qu’il traitait tous ces collaborateurs.
- Très bien, répondit-il d’un ton enjoué. Et souviens-toi, pas un mot à Victoria de cette discussion, mon ami.
- Tu n’as pas à t’inquiéter.
- Merci.
- De rien, dit-il d’une voix aimable avant de raccrocher.
***
Victoria se regarda dans le miroir. Le maquillage faisait des merveilles, car ses cernes avaient disparu. Les mois précédents avaient été compliqués. Sa recherche d’emploi restait vaine et elle commençait à désespérer. Elle s’approcha un peu plus du miroir pour vérifier son trait d’eyeliner noir, son meilleur allié. Elle laissa ses cheveux acajou au naturel, détachés, légèrement ondulés sur les épaules. Elle aurait aimé que sa mère soit encore en vie, peut-être aurait-elle pu lui donner des conseils pour gérer les événements difficiles qu’elle avait dû surmonter.
Ce matin-là, elle reçut l’appel de Marla Roberts, une assistante qui travaillait chez Spring & Marsden. La femme l’informa que Matthew Talley, le directeur des comptes VIP de l’agence, voudrait la rencontrer à 11h. Cet appel l’étonna.
- Je n’ai pas envoyé mon CV à l’agence. Je ne veux rien savoir sur...
- D’après ce que m’a dit M. Talley, votre nom a été recommandé lors d’une conférence de publicitaires auxquelles mon patron assiste habituellement. C’est pourquoi il veut vous rencontrer.
« Je suis sûre qu’ils ont évoqué ma campagne pour L’Oréal.», pensa Victoria. Cette campagne avait eu un grand retentissement médiatique et lui avait valu la reconnaissance de la profession. C’était une période où les propositions d’embauche affluaient, se rappela-t’elle avec amertume. Depuis la fermeture de son agence, elle était pratiquement ruinée. Mais elle refusait d’accepter l’argent que son père lui proposait tous les mois. D’une part, elle était fière, d’autre part, elle en voulait aussi à son père.
- Vous avez d’autres détails ?, demanda-t’elle à l’assistante.
- Ils font une sélection pour un gros compte.
- Et qui a dit que je voulais travailler là-bas... ?
- Mlle Marsden, je...
- Oui, je sais. Je suis désolée. Vous obéissez aux ordres et mon nom a été recommandé par quelqu’un qui n’est pas de l’agence.
- J’aimerais vous en dire plus, mais c’est tout ce dont m’a informée M. Talley… Vous savez, ma journée devient difficile quand il n’obtient pas les résultats qu’il attend.
- Et cet argument est censé me convaincre ?
- Eh bien, je...
- Depuis combien de temps travaillez-vous pour cette agence ?
- Plus de 15 ans.
- Je comprends, Marla. Je ne voudrais pas gâcher votre journée. Je viendrai.
- Merci, Mlle Marsden.
L’idée de rencontrer Matthew la troublait et excitait sa curiosité.
Quand elle vit Matt pour la première fois, à l’âge de 14 ans, elle aima tout de suite son charisme et son assurance. Il venait souvent chez elle parce qu’il était l’assistant de son père. Même après avoir obtenu son diplôme, Matt continua à leur rendre visite. Il était très beau. D’une beauté peu conventionnelle. On ne pouvait pas passer à côté de ses traits masculins marqués, adoucis par une bouche sensuelle et des yeux verts extraordinaires. Sa façon de hausser un sourcil quand elle faisait des commentaires lui donnait un air intrigant, sombre et réfléchi. Elle était fascinée par la façon dont ses yeux brillaient quand il affirmait quelque chose ou défendait une idée. Et elle aimait voir son visage s’illuminer quand il riait. Le son grave et profond de la voix de Matt était merveilleux. Il avait huit ans de plus qu’elle, c’est pourquoi il l’avait peut-être toujours perçue comme une gamine un peu fébrile.
Il y a des années, son père avait décidé de célébrer son anniversaire. Et bien sûr, son élève préféré était venu. Pas sans compagnie féminine, c’était impossible. Il était accompagné d’une femme qui semblait sortir d’un magazine de mode. Victoria n’avait pas l’habitude de s’attarder sur des questions de mode, mais elle ne put s’empêcher de se comparer à cette fille au bras de l’homme qu’elle adorait. Son opinion sur les vêtements et la mode commença à changer : elle commença à s’en soucier. Un peu.
Pour sa fête d’anniversaire, elle était allée dans un salon de beauté pour se faire coiffer et se faire épiler les sourcils pour la première fois. Son père l’avait forcée à porter une horrible robe noire. Ses seins avaient considérablement grossi, sa taille s’était rétrécie et ses hanches s’étaient élargies avec délicatesse. Mais cette robe n’avait que faire de ses courbes, et elle cachait ce que Victoria montrait rarement. Pourtant, à son anniversaire, elle voulait se démarquer grâce à ses atouts, sachant qu’elle verrait Matt.
Quasiment aucun de ses camarades de classe ne vint à sa fête. La date coïncidait avec la fête de Maggie Bones, la fille la plus populaire de l’école. Fêter les 17 ans de Victoria n’était donc pas le premier choix de ses camarades. Elle aurait aimé que Lilly Talley n’ait pas été malade ce jour là, parce que, même si la sœur de Matt et elle n’étaient pas vraiment amies, elles discutaient beaucoup quand elles avaient l’occasion de se rencontrer. Pour la plus grande joie de Victoria, elle était toujours sur la liste des priorités de Devon, son ami inconditionnel et si précieux. Au final, elle se fichait que les autres ne soient pas venus à sa fête.
Devon Patroll était le fils d’un des plus grands concessionnaires automobiles des États-Unis. Les Patroll connaissaient John Marsden depuis toujours, et leurs enfants étaient amis aussi. Devon avait une sœur jumelle, Julianne, mais elle n’avait aucun lien avec Victoria, hormis une salutation par-ci, une conversation houleuse par-là. Il n’y avait absolument aucune alchimie entre elles.
Devon ne lui causait jamais de mal-être ni ne se moquait de ses formes féminines prononcées. Au contraire, il lui avait expliqué que l’envie et les moqueries rendaient les gens stupides et que c’est ainsi qu’elle devrait considérer toute personne se moquant d’elle. Comment aurait-elle pu ne pas l’aimer ?
Pendant sa fête, Victoria but plus de quatre coupes de champagne pour la première fois de sa vie. Une très mauvaise idée, surtout parce que sa désinhibition, et le manque de bon sens soit dit en passant, la poussèrent à saisir un moment où Matthew était seul, pour l’approcher. «C’est le moment parfait.», s’était-elle dit avant d’exécuter son plan. Un plan qu’elle reconnaîtrait a posteriori comme le pire qu’elle n’ait jamais conçu.
- Salut Matt, dit-elle en touchant la manche de son costume noir.
Elle pensait que même habillé d’une combinaison de mécanicien, il serait élégant et distingué. Il était très beau, mais il ne semblait pas se soucier de la façon dont les femmes le mangeaient des yeux.
- Victoria Anne.
Elle détestait qu’on l’appelle comme ça.
- Joyeux anniversaire ! 16 ans, c’est ça ?
- 17, ça ne se voit pas ?, souligna-t’elle, souriante, avec un clin d’œil.
Elle avait fait tout son possible pour être coquette. Parce que c’était ça, ou accepter que son horrible robe la faisait ressembler à une table avec une nappe. Elle était contente que deux mois plus tôt, on lui ait enlevé son appareil dentaire sinon elle n’aurait pas pu sourire du tout, ce qui aurait été dommage, car selon son père, elle avait un joli sourire.
- Pas vraiment, mais je suis sûr que ça changera avec le temps.
A cause des coupes que Victoria avait bues, elle ne put garder son calme. «Merci à l’univers de permettre au champagne d’exister !»
- Matthew ?, l’interpela-t’elle d’une voix douce.
- Dis-moi, Victoria Anne, répondit-il, un brin railleur.
Ce jour-là, Matthew avait perdu la possibilité de gagner un client européen à cause d’une erreur stupide. Il avait juste envie d’une nuit de sexe avec Charlotte pour dissiper sa frustration. Mais comme il ne pouvait pas manquer l’anniversaire de Victoria, il y avait emmené sa maîtresse. A la fin de la fête, sa nuit torride pourrait enfin commencer. Il cherchait discrètement Charlotte du regard. Il ne la voyait nulle part.
- Je pense que tu pourrais danser avec moi, dit-elle en bougeant sa chaussure à talon gris sur l’herbe.
Ses yeux bleu clair le fixaient avec un regard franc que Matthew n’avait pas vu chez une femme depuis des années. Les filles avec qui il sortait étaient généralement des femmes légères, mais comme il ne cherchait pas de compromis, il était heureux avec toutes celles qui se débrouillaient sous les draps.
- En plus, c’est mon anniversaire, et Devon, a-t’elle dit en montrant de la tête l’endroit où le garçon discutait avec John, n’est pas doué pour danser en couple.
Elle haussa les épaules, comme si c’était la fin de l’explication.
Matt sourit.
- Allez, quelle grossièreté de ma part de ne pas t’inviter à danser à ta propre fête d’anniversaire. Tu me fais l’honneur ?
Il lui tendit la main alors qu’une magnifique musique commençait.
Elle lui donna la main et se sentit la fille la plus heureuse du monde. Le ciel de San Francisco lui offrait une nuit fraîche et étoilée. Matthew la portait au rythme de la musique et Victoria se sentait flotter.
À la fin du morceau, il l’accompagna hors de la piste de danse, et elle profita de cet éloignement des invités pour le prendre par surprise. Elle l’embrassa sur la bouche. Peut-être son audace mérita-t’elle la réaction gênée de Matthew. Il la prit par le poignet, sans lui faire de mal, et la regarda dans les yeux, furieux.
L’effet de l’alcool disparut du corps de Victoria quand elle réalisa ce qu’elle avait fait. Elle ne réussit pas à déterminer si elle voyait de la colère, de la condescendance ou de la pitié dans les yeux de Matt, et elle eut honte. Elle voulait qu’il la regarde de la même manière qu’elle le regardait : avec joie et amour. Elle comprit, vaincue et triste, que ce n’était pas possible.
- Pourquoi as-tu fait ça, Victoria Anne Marsden ?, demanda-t’il les dents serrées, sans lâcher ses poignets, crachant presque ses mots.
- Je... je voulais savoir ce que ça faisait, les yeux emplis de regret pour sa stupide impulsion.
- Je suis désolée, Matthew..., dit-elle la gorge nouée, je...
Les mains de Matt se posèrent sur ses épaules féminines.
- Tu es une enfant pour moi, ainsi que la fille d’un ami que j’apprécie et respecte comme un père. Tu as encore beaucoup à vivre et à apprendre.
Si elle avait pu creuser un trou et s’y cacher, elle l’aurait fait.
- Je veux que tu saches que je te vois comme une sœur. Rien de plus.
Cette phrase la blessa comme si on avait mis un coup de poignard dans son cœur. Elle pâlit.
- Je t’aime beaucoup Matthew…, susurra-t’elle, nostalgique et triste.
Il eut la décence de ne pas rire. Elle sentait une pression sur ses épaules, et poussa un soupir comme si elle était fatiguée.
- C’est faux. Les coupes de champagne te sont montées à la tête. Les filles de ton âge ne devraient pas boire autant… et dans ton cas, tu ne devrais pas boire du tout.
«Je ne suis pas une enfant.», voulut-elle crier.
- Victoria Anne, il vaut mieux toujours être sincère, et ce que je vais te dire, c’est pour que tu n’interprètes pas mal les choses.
Il la regardait sérieusement et elle s’efforça de ne pas trembler. La douleur du rejet était difficile à cet âge, à une période où l’imagination était en effervescence.
- Je t’apprécie, mais je ne te verrai jamais comme une femme. Pour être plus exact, il n’y a pas de possibilité de couple entre toi et moi, parce que ce que je ressens pour toi, c’est de l’affection fraternelle. Tiens-le toi pour dit.
Matt savait qu’il était cruel, mais il ne voulait pas s’engager avec une adolescente. Il n’avait rien à lui offrir. Il était brisé à l’intérieur. Décourager Victoria était le seul moyen pour qu’elle arrête de fantasmer sur lui. Il ne croyait pas aux sottises romantiques. Plus maintenant. Même si une partie de lui le poussait à prendre ce qui lui était offert, il ne pouvait pas se permettre d’être faible avec Victoria. Il avait d’autres objectifs sur lesquels se focaliser. Sa carrière était tout pour lui, et il ne pouvait pas ternir un brillant avenir juste pour une nuit. De plus, comment pourrait-il entretenir une relation avec la fille de son mentor et patron ? Impossible. Si jamais Victoria décidait de lui rendre la vie impossible devant John, cela risquait de ruiner ses opportunités de promotion. C’était une question de priorités. Et pour lui, sa carrière passait avant tout.
Victoria ne pouvait pas se sentir plus honteuse et blessée. Quand la brune aux jambes interminables arriva à côté de Matthew, il l’embrassa avec ardeur devant ses yeux bleus chargés de tristesse et de rêves romantiques brisés. «Cette histoire passionnée aurait dû être à moi et à personne d’autre». C’était comme si on avait versé de l’alcool sur une blessure ouverte. Matt venait de lui briser le cœur avec cruauté.
Son orgueil piétiné, Victoria se retourna et s’éloigna.
Depuis cette nuit-là, il ne se retrouva plus sur son chemin. En fait, elle l’évita à tout prix. Pendant l’horrible année où elle fêta son dix-septième anniversaire, elle commença aussi la fac, et elle déménagea hors du centre-ville.
Et voilà que sept ans plus tard, elle allait le croiser à nouveau. Elle se disait qu’elle avait accepté de le voir parce que la pauvre Marla avait l’air si troublée et si inquiète qu’il ne lui restait plus qu’à accepter la réunion, mais la vérité, c’était qu’elle brûlait de curiosité de savoir quels types de comptes ils signaient à l’agence et quel genre d’avantages Spring & Marsden proposait.
Même si l’héritière de l’agence était connue, elle ne voulait rien avoir à faire avec l’entreprise de son père, à moins que ce ne soit grâce à ses propres mérites, ce qui semblait être le cas cette fois-ci. Mais si jamais elle se rendait compte qu’il s’agissait d’un subterfuge orchestré par son père, elle stopperait toute conversation, rejetterait toute proposition, et quitterait les bureaux de l’agence sur le champ.
Même si près d’un an s’était écoulé depuis le début de l’enfer qu’elle avait vécu, penser à Devon et à la façon dont ils avaient dû se séparer lui causait beaucoup de tristesse et de culpabilité. Son père n’avait pas cru en elle au moment où elle avait eu le plus besoin de lui à ses côtés. Elle se sentait toujours déçue et blessée.
En soupirant, elle s’attacha les cheveux avec une pince, puis sortit de chez elle.
***
Le croquis que Matt était en train de vérifier était parfait, comme prévu, et la présentation numérique était imbattable. Il était fier de son équipe. Ils allaient gagner le compte Harrington, il en était certain. Il jeta un œil à son agenda. «Une journée compliquée s’annonce.»
Il se servit une tasse de café.
- Marla, appela-t’il par l’interphone.
- Oui ?
- L’arrivée de Victoria Marsden est-elle confirmée ?
- J’au dû lui mentir par ta faute...
- Je n’ai pas le temps pour tes récriminations.
Il avait une affection particulière pour Marla. Si sa grand-mère Edna l’avait rencontrée, elles auraient sûrement été de bonnes amies.
- Contente-toi de me répondre, s’il te plaît.
- J’espère que c’est pour une bonne cause.
- Tu n’étais pas sur le point d’aller faire des examens médicaux ?, la questionna-t’il pour changer de sujet.
- D’accord, mon cher. Que ce soit bien clair, je ne mentirai plus pour toi.
Matthew s’allongea sur le siège.
- Ça veut dire qu’elle vient ici ?, insista-t’il en levant les yeux au ciel.
- Oui, je...
- Bien. Bonne chance pour ta consultation médicale. Il est 9h30. Tu va être en retard.
- Je mériterais une promotion..., grogna-t’elle avant de couper la communication.
Matt se considérait comme un homme chanceux, du moins maintenant. Il ne restait aucune trace du garçon qui, dix ans auparavant, craignait d’être privé du lien avec la famille dysfonctionnelle et abusive à laquelle il appartenait. Il faisait son chemin dans le monde professionnel avec assurance, sans crainte d’échouer. Il était devenu un homme fort, sûr de lui et performant.
Il aimait l’agence dans laquelle il travaillait quotidiennement, en particulier son bureau : une décoration style art déco, un grand bureau, et un grand fauteuil, suffisamment rembourré pour faire la sieste quand ses neurones étaient sur le point d’exploser. Sa plus grande fierté était l’étagère, près de la bibliothèque, sur laquelle trônaient tous les prix qu’il avait gagnés pour Spring & Marsden. L’agence récoltait habituellement des prix quand il y avait des galas récompensant les publicitaires de la région.
Matt étudia la liste des réunions détaillées sur la feuille Excel que Marla lui avait envoyée par email la veille. Pendant ce temps, la porte de son bureau s’ouvrit sans qu’il n’y prête grande attention. Il était concentré sur ses idées et fixait son ordinateur.
- Bonjour, le salua une voix vaguement familière.
- Oui ?, répondit-il, le nez sur l’écran de l’ordinateur.
Comme personne ne répondait, il se détourna de son écran et se retourna. Ce visage. Ses cheveux acajou étaient soigneusement peignés et tombaient comme un rideau de soie luxueux. Son nez était retroussé, ses lèvres maquillées de rose. Et puis, il regarda ses yeux. Il n’avait jamais oublié ces lagunes claires et chaleureuses qui observaient le monde avec innocence, parce qu’il n’avait plus jamais trouvé cette sincérité dans le regard de personne.
- Victoria Anne ?, interrogea-t’il.
Il ne s’attendait pas à ce que sa beauté le frappe de cette façon. Il s’éclaircit la gorge, tout en essayant de le dissimuler.
- Je te remercie d’être venue. Puis-je t’offrir quelque chose à boire ?, lui proposa-t’il en l’invitant à s’asseoir.
- Non, merci, ça ira, répondit-elle sans émotion apparente, même si ses sens eux, étaient bel et bien conscients de la beauté de Matt.
«Beau ? Non. Carrément impressionnant». Son cœur s’accéléra, et elle essaya de respirer plus calmement. Mon Dieu, quelle injustice ! Pourquoi n’était-il pas laid, les yeux cernés, et bidonnant ? Les années avaient été plus que généreuses avec lui. Matt avait l’air encore plus imposant et plus beau que dans ses souvenirs. C’était il y a bien longtemps.
Inévitablement, elle s’était souvenue de la bêtise qu’elle avait faite cette nuit-là, après qu’il l’eut rejetée à son anniversaire.
Bouleversée, imbibée de champagne, elle s’était précipitée dans sa chambre après le refus de Matthew hors de la piste de danse. En chemin, elle rencontra un sympathique garçon, Wayne, fils d’un certain Arthur Parker, gérant d’un magasin de mode à l’époque, et ami de son père.
Quand il la vit décomposée, en pleurs, il la consola en la serrant dans ses bras. Peu à peu, ses caresses furent plus appuyées et elle ne les repoussa pas. Wayne lui dit qu’il pouvait guérir sa tristesse cette nuit-là. Elle se sentait humiliée et avait de la rancœur envers Matt, alors elle laissa le garçon l’accompagner dans sa chambre.
Quand il se rendit compte qu’elle était inexpérimentée, Wayne se montra très attentionné. La douleur qu’elle ressentit au début disparut rapidement. Elle se laissa progressivement porter par les nouvelles sensations qu’elle éprouvait. En même temps qu’il la caressait et l’embrassait, il disait toutes sortes de choses. Mais pour elle, celui qui avait pris son innocence cette nuit-là était le beau publicitaire qui lui avait brisé le cœur quelques minutes auparavant, et pas le fils d’un des invités de son père.
Elle fut contente que cette nuit n’ait pas eu de conséquences. Elle avait été stupide et impulsive. Mue par le ressentiment et le rejet. Elle avait regretté de coucher avec Wayne dès qu’elle avait repris conscience en se réveillant un peu endolorie, nue et seule dans sa chambre. Ce matin-là, déterminée, elle avait informé son père qu’elle prenait son indépendance, grâce aux économies que sa mère lui avait laissées avant de mourir. John lui en voulait. Devon la soutenait moralement.
Mais c’était le passé, et maintenant elle volait de ses propres ailes. Seule.
- Eh bien, on ne m’avait pas appelée par mes deux prénoms depuis fort longtemps, dit-elle avec un sourire pour briser la glace. Je vois que tu as obtenu beaucoup de prix. Je suis contente pour toi, ajouta-t’elle avec sincérité en admirant l’espace dans lequel ils se trouvaient et les récompenses alignées sur une étagère.
- Merci, répliqua-t-il, ce n’est pas grand-chose.
Il ne savait pas comment réagir sans dire quelque platitude sur sa beauté, ou sur la sensualité contenue qui en émanait.
- On m’a beaucoup parlé de ton travail, et j’ai eu l’occasion de voir quelques campagnes, dit-il en changeant de sujet. Tu as un début de carrière très intéressant pour une personne si jeune. La campagne des stylos de luxe a créé un précédent. Et la campagne L’Oréal était impressionnante : la façon de travailler ce concept avec les cheveux était ultra-innovant.
Elle était flattée qu’il ait mentionné certaines de ses réalisations. Elle supposait que la publicité, ayant grandi dans ce milieu, était la filière la plus logique dans laquelle faire carrière.
- Je suis content que tu aies trouvé ça bien.
- Victoria Anne...
Elle inclina la tête en souriant. Même si elle détestait qu’on l’appelle par ses deux prénoms, pour une raison quelconque, dans bouche de Matt, c’était presque parfait. Elle essaya de penser à autre chose, elle ne voulait pas déterrer des émotions reléguées au placard depuis des lustres.
- Nous nous connaissons depuis tant d’années que je préfère que tu m’appelles Victoria ou Tori. Ça me fait bizarre quand quelqu’un m’appelle autrement.
- D’accord. Alors Victoria, acquiesça t’il avec un signe de tête.
Ses yeux bleus l’avaient poursuivi pendant toutes ces années dans l’attente d’un mot gentil, mais maintenant ils l’observaient, calmes et imperturbables. Cependant, ils étaient également ternis par une profonde tristesse qu’elle essayait de cacher en gardant une attitude sereine. Il n’y avait plus l’étincelle d’émotion qu’il connaissait dans la Victoria adolescente. Trop d’années s’étaient écoulées sans se parler, ils étaient presque devenus deux étrangers.
Matt ne se rendit pas rendu compte qu’il l’avait observée pendant plusieurs secondes, jusqu’à ce qu’elle hausse un sourcil interrogatif. Il essaya de dissimuler son examen scrutateur. Que lui arrivait-il donc ?
- Ici, à l’agence, c’est sûr à 99 % que tu travailleras sur de grands comptes. Il s’agit d’un travail compliqué qui durera jusqu’à ce que Paul Harrington, le client, décide à quelle agence il confiera la campagne nationale qui fera la promotion de The Dolphin Shine, la nouvelle ligne de boucles d’oreilles et de pendentifs en diamant de sa société. C’est une ligne de luxe. Si nous réussissons à mener le projet aux États-Unis, nous serons probablement chargés de la campagne européenne, prévue quinze mois après le début de la campagne américaine. Il nous faut quelqu’un pour faire le lien entre Paul et nous. J’ai vu que tu as aussi une spécialité en relations publiques, c’est un plus. Tu as aussi l’expertise pour le poste de publicitaire, n’est-ce pas ?
Elle acquiesça.
- Je n’ai pas envoyé mon CV, dit-elle, en lui répétant ce qu’elle avait essayé de dire à Marla, avant d’être interrompue.
- Mais tu as un profil LinkedIn, dit-il en souriant.
Victoria hocha la tête. Heureusement qu’elle était à jour avec les plateformes web et qu’elle avait effectivement un compte LinkedIn.
- La personne qui sera engagée viendra aux réunions avec moi.
Elle l’interrompit avec un geste de la main, en fronçant les sourcils.
- A quel titre exactement ?
- Nous cherchons un responsable pour ce compte. Je suis le directeur des comptes VIP, donc le chef du département. Jude, des Ressources Humaines, pourra t’expliquer plus clairement les modalités salariales. Lorsque nous remporterons l’appel d’offres, le responsable recevra une commission de 5% de la valeur totale des honoraires, et la possibilité suivre le compte s’il le souhaite et si le client est d’accord. Selon la situation, nous pouvons aussi fournir un autre compte ou résilier le contrat avec Spring & Marsden. Il y a plusieurs options possibles. Pendant cette période, l’entreprise couvrira toutes les dépenses engagées pour le client.
Victoria fut étonnée de la confiance affichée de Matt lorsqu’il déclara qu’ils gagneraient l’appel d’offres. Elle était aussi consciente du message subliminal : si la personne engagée ne lui convenait pas, il la licencierait. Elle trouvait stimulant le fait d’occuper un poste qui exigeait beaucoup plus que les normes habituelles.
Matt lui indiqua le montant du salaire de la personne qui serait embauchée, ainsi que la prime de productivité qu’ils avaient l’habitude de donner dans l’entreprise. Le cœur de Victoria fit un bond, parce qu’avec tout cet argent, elle pourrait enfin rembourser à son amie et colocataire, Chloé, le loyer des derniers mois qu’elle lui avait avancé. Mais elle avait encore besoin d’informations.
- Je pense que c’est une rémunération et un traitement très équitable, Matt.
Elle savait qu’il serait difficile pour elle d’être sous les ordres d’une autre personne alors que, pendant si longtemps, elle avait pris seule les décisions concernant sa carrière et ses clients. Mais maintenant, tout était différent. Elle espérait être la candidate choisie à la fin du processus de sélection. Elle croisa ses mains sur sa jupe en coton beige bordée de noir, assortie à la veste. C’était son tailleur préféré.
- Pourquoi moi ?
- Tu corresponds au profil que nous recherchons.
- Il y a beaucoup de candidats ?
Matt haussa les épaules.
- Tu es la propriétaire, Victoria, tu peux venir ici et monter ton propre département si tu veux...
Elle souleva le menton.
- Si tu m’as appelée pour mon père... Matt, est-ce qu’il a influencé ta décision ?
Il sembla réfléchir, et ça l’inquiéta. Cette sensation dura jusqu’à ce que Matt lui consacre un sourire gentil et charmant.
- Bien sûr que non, dit-il.
Elle leva un sourcil, incrédule. Il poursuivit :
- Nous avons reçu au moins cent candidatures, et tu es la dernière personne que j’interviewe cette semaine. De plus, trois personnes qui assistaient à une conférence avec moi à Tucson m’ont parlé de toi, de ta célèbre campagne L’Oréal, et de celle que tu as faite pour Cardigan et Chantile.
Mentir le mit mal à l’aise. Personnellement, par fierté, il n’aurait pas voulu que quelqu’un lui donne un travail au Texas, par exemple, secrètement recommandé par son beau-père répugnant. Il fit preuve de sang-froid et réfréna l’envie de lui avouer la vérité. Il se devait d’être loyal envers John.
- Je considère que tes compétences professionnelles font de toi une bonne candidate. C’est pour cela que je voulais te voir.
Ces propos étaient fabuleux pour Victoria. Elle crut Matthew et se sentit soulagée.
- Et si mon père t’avait demandé de m’appeler, tu l’aurais fait ?
Mon Dieu, pourquoi était-elle si inquisitrice ?, se demanda Matt, prêt à mentir à nouveau, à contrecœur.
- Il y a quelque chose que tu dois savoir. Mon département, c’est moi qui le gère. Je suis le directeur des comptes VIP de cette entreprise. J’ai apporté 80% des clients. Donc ton père est peut être le propriétaire, mais c’est moi qui décide qui travaille avec moi et qui ne travaille pas avec moi.
Cette déclaration sembla apaiser Victoria, car elle s’assit plus confortablement dans le fauteuil. En son for intérieur, Matthew était soulagé.
- Qui sont les concurrents du compte Harrington ?
- Butler & Partners. Nous devons remporter la dernière étape contre eux.
Elle savait que c’était l’agence qui rivalisait toujours avec celle de son père. Alors ce serait comme regarder une bagarre au Colisée : tout le monde voulait échapper aux lions, mais un seul pouvait y arriver. Un défi passionnant.
- Comment je saurai si j’ai le poste ?, demanda-t’elle, masquant son anxiété.
- Si l’offre te plaît, alors le poste est à toi.
- C’est aussi simple que ça ?, dit-elle en haussant un sourcil d’étonnement.
Il sourit, et Victoria sentit un picotement sur sa peau. Curieux effet, alors qu’elle prenait soin d’anesthésier ses émotions les plus basiques, après ce qui s’était passé avec Devon. « C’est l’émotion d’être embauchée. Ce n’est que cela.», se dit-elle pour se calmer.
- Ton expérience professionnelle est très riche, j’insiste, et tu as un atout intéressant, ta spécialité en relations publiques. Alors, as-tu pris ta décision ou veux-tu réfléchir quelques jours ? Si tu décides de prendre du temps pour te décider, je ne peux pas te donner plus de vingt-quatre heures, parce que nous sommes débordés et que nous devons avancer avec des candidats qui peuvent commencer immédiatement, mentit-il.
«Purée». Elle devait payer le loyer. Elle avait aussi des cartes de crédit et un prêt qu’elle avait souscrit pour assainir les dépenses liées à la fermeture de son agence.
Elle le regarda avec détermination et sourit avec éclat.
- Je commence quand ?
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