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Augusto Salvador


Les Pommes cuites. François Coppée 1890. François Édouard Joachim Coppée, né le 26 janvier 1842 à Paris1 où il est mort le 23 mai 1908, est un poète, dramaturge et romancier français.


Cuento Todo público.
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I

Ridées, luisantes, noircies de plus d'un coup de feu, les pommes cuites mijotaient sur un petit fourneau de faïence, à la porte d'une humble fruiterie de la rue de Seine, et elles étaient destinées, selon toute apparence, à constituer le dessert de quelque ménage d'ouvriers, lorsque la comédienne Sylvandire, la grande coquette de l'Odéon, qui passait dans sa victoria, aperçut le petit fourneau et fut prise d'un caprice étrange.

Au grand ébahissement de la vieille fruitière, l'élégante voiture s'arrêta devant la boutique, la belle dame en descendit, déganta sa main droite, et, sans gêne aucune, encombrant le trottoir de sa toilette tapageuse, elle se mit à manger une, deux, trois pommes cuites, avec un appétit tout populaire.

En ce moment, un homme déjà vieux, mais grand, fort, et portant haut la tête, qui arrivait, en mâchonnant un gros cigare et les mains plongées dans les poches de son paletot, orné d'un large ruban rouge, passa tout près de l'actrice, la reconnut et partit d'un bruyant éclat de rire.

—«Comment, Sylvandire, tu aimes tant que cela les pommes cuites! Toi, une actrice!»

Elle se retourna et reconnut la barbe teinte et la face audacieuse du célèbre auteur dramatique César Maugé, du satirique amer et effronté, dont chaque pièce est un triomphe et un scandale, et qui s'est fait adorer de la société moderne comme un ruffian par une fille, en la cravachant.

—«Un souvenir d'enfance, mon cher maître,—répondit gaîment la grande coquette en faisant une révérence comique au pacha théâtral.—Cela me rappelle l'époque où je portais mes cheveux dans un filet de chenille rouge et où je logeais chez papa, qui était cordonnier rue Ménilmontant, et qui me fichait des calottes quand je ne rentrais du bal Favié que le lendemain à midi... On n'a pas toujours été une grande artisse,—continua-t-elle avec un horrible accent de blague faubourienne;—on n'a pas toujours avalé sa langue en compagnie d'un empaillé de prince russe qui vous appelle «madame» jusque sur l'oreiller, et, vous voyez, mon cher, on ne rougit pas de son origine... Les pommes cuites et Ugène!... J'avais un Ugène, alors... C'était le bon temps!»

La cynique boutade de la coquine fit sourire l'homme de théâtre, vieux Parisien corrompu.

—«Et il paraît que tu as eu un succès fou dans la Petite Baronne,—dit-il à la comédienne, qui, ayant payé la vieille fruitière, était remontée dans sa victoria et reboutonnait son gant.

—Vous n'étiez donc pas à la «première»?—s'écria-t-elle, étonnée.

—Non. Je ne vais presque jamais à l'Odéon.

—Eh bien, venez donc voir ça... Je vous assure, ça vaut le voyage... Adieu.»

César Maugé mentait. Il avait si bien vu Sylvandire dans la Petite Baronne, qu'il songeait à lui confier un rôle; mais il n'était pas encore tout à fait décidé et il craignait de se compromettre.

La vérité, c'est que, depuis deux mois, tout le public était amoureux de la grande coquette, qui, chaque soir, opérait ce miracle de remplir l'Odéon de jeunes «clubmen» en gilets à coeur. Cet engouement du Paris blasé—légitime, par hasard, car Sylvandire est une fille atroce, mais une exquise comédienne,—était surtout causé par le regard dont elle soulignait le mot «peut-être» à la fin du troisième acte de la Petite Baronne. Ce regard, chef-d'oeuvre de perversité et de «bovarisme», ce regard qui exprimait et résumait toute la poésie malsaine de l'adultère, avait suffi pour transformer le provincial Odéon en rendez-vous élégant, en centre de la «haute vie». Surpris d'abord et ahuri par le succès, le directeur n'avait pas tardé à reprendre ses esprits et s'était mis à la hauteur de la situation. Pour remplir les longs entr'actes de la Petite Baronne,—la pièce, jolie d'ailleurs, se composait de quatre petits tableaux, de vingt-cinq à trente minutes chacun,—il avait rétabli l'orchestre; non le vieil orchestre odéonien qui râpait des valses surannées, mais un double quatuor de virtuoses choisis, jouant avec un ensemble parfait un peu de bonne musique et berçant les conversations des mondaines, en train de picorer des fruits glacés dans leurs loges, au gazouillement des fauvettes d'Haydn et des rossignols de Mozart.—S'il n'eût pas tremblé pour sa subvention et redouté la commission du budget, ce directeur, à qui les fumées du succès montaient à la tête, aurait fait imprimer sur son affiche,—sur la grave et classique affiche de l'Odéon,—pour mieux annoncer le «clou» de la Petite Baronne: «Tous les soirs, à onze heures moins un quart, le «regard» de Mademoiselle Sylvandire.»

Or, le jour de la «soixante-cinquième», la comédienne était en train de faire son changement du «trois»,—l'acte du regard,—et la délicieuse brune, épaules et bras nus, baissait la tête pour enfiler la robe que lui présentait l'habilleuse, lorsque César Maugé entra dans sa loge, brusquement, ayant à peine frappé à la porte.

L'actrice poussa un petit cri. Mais l'auteur dramatique—une vieille connaissance—la baisa sur le croquant de l'oreille, par égard pour le maquillage; puis, après avoir allumé un cigare au bec de gaz de la toilette, il se laissa tomber sur le canapé, ôta son chapeau, et, tournant ses yeux d'acier vers la comédienne:

«Sylvandire,—lui dit-il,—veux-tu jouer ici le premier rôle de ma nouvelle pièce?... Oui, celle que je destinais au Vaudeville?»

Autant aurait valu demander à un desservant de village s'il voulait être pape.

Sylvandire eut un éblouissement. Laissant la robe béante sur les bras tendus de l'habilleuse, elle sauta sur le canapé auprès de l'auteur célèbre, lui jeta les bras au cou, et, presque nue, la gorge hors du corset, ouvrant dans un sourire libertin la grenade mûre de sa bouche, elle s'écria:

«Si je veux!»

Mais, le lâchant aussitôt et s'éloignant de lui d'un bond, elle ajouta, d'une voix froide:

«A quelle condition?»

Maugé laissa éclater son gros rire; puis, une fois calmé, tirant une bouffée de son cigare, il reprit:

«Tu es décidément une fille d'esprit... Enfile ta robe et écoute-moi.»

Et, comme elle se hâtait d'agrafer son corsage:

«A propos, et les pommes cuites de la rue de Seine?—demanda-t-il.

—Eh bien, elles sont très bonnes,—répondit Sylvandire,—et j'en mange tous les jours, en revenant de la répétition.»

27 de Mayo de 2018 a las 22:53 0 Reporte Insertar Seguir historia
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