david-jessica- David Jessie

À dix-sept ans, Aaron est un adolescent en colère qui n'a jamais surmonté la mort tragique de son frère. Seul son ami le plus proche, Matt, a une influence positive sur lui, jusqu'à ce qu'il rencontre Éden, une jeune fille maltraitée par son père. Tandis qu'Aaron tombe amoureux d'Éden, Matt doit garder les secrets choquants qu'elle cache à propos de l'accident du frère d'Aaron. Au fil de leur amitié profonde et indéfectible, Aaron et Matt découvrent leur homosexualité grâce à leur amour naissant l'un pour l'autre. Cependant, Aaron lutte contre ses sentiments et n'admet pas son homosexualité, ce qui met leur relation en danger. Dans une histoire émouvante de découverte de soi et d'amour non conventionnel, ils doivent faire face aux vérités bouleversantes qui menacent de détruire leur lien inébranlable.


Romance Romantic suspense For over 18 only.

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1. La rage au poing ∞ Aaron ∞

Sur le rythme effréné de « Paralyzed » de NF, je me défoule sur le sac de frappe. Chaque coup est une explosion d’adrénaline, chaque impact me délivre de ce fardeau qui pèse sur mon cœur, lourd comme du plomb. Ici, je frappe avec la fureur d’une bête en cage, chaque coup délivré par mes poings me procure un répit éphémère.

Mon cœur se déchaîne, jouant un solo effréné, avec un rythme qui dérape, qui s’accélère sans pause. La sueur me brûle les yeux, me fait grimacer, mais c’est une goutte d’eau face à l’océan de douleur qui gronde en moi, cette douleur que je cherche à enterrer à chaque coup que je porte, à chaque frappe que je donne, à chaque respiration haletante que je prends.

Je n’ai pas l’intention de m’arrêter. Pas maintenant. Pas avant d’avoir déchargé toute cette énergie sauvage, toute cette fureur qui gronde en moi. La musique continue de battre, de vibrer, de me fournir une bande-son pour cette danse destructrice. Je m’accroche à la douleur, je salue l’épuisement. C’est mon échappatoire. C’est ma thérapie. C’est mon réconfort.

La colère me ronge de l’intérieur, la frustration me déchiquette et la déception est comme un couteau tranchant qui me traverse. Tout ça alimente en moi une tourmente d’émotions, submergeant mes sens jusqu’à l’épuisement. Chaque coup que je donne, c’est comme si je libérais un bout de ce poids titanesque qui m’enchaîne. Mes muscles brûlent, comme si chaque fibre criait de concert pour échapper à cette angoisse suffocante qui ne cesse de me tourmenter.

Alors je continue, m’enfonçant dans ce tourbillon infernal de douleur et de désespoir, laissant s’exprimer ma colère et ma fureur à travers chaque coup. Chaque coup est un cri de rébellion, une affirmation, une déclaration que je ne me laisserai pas abattre. Je frappe, encore et encore, comme si chaque coup était vital à ma survie, comme si c’était ma propre existence qui était en jeu. C’est sauvage, c’est chaotique, mais c’est nécessaire. C’est ma manière à moi de tenir le coup.

Juste au moment où je suis en plein dans mon rituel de purification personnelle, une présence indésirable fait irruption. Je marque une pause, je me tourne, la rage toujours en furie dans mes veines, et je tombe sur ce gars, un gamin probablement pas beaucoup plus vieux que moi, qui s’installe sans aucune gêne sur le banc en face. Il me fixe avec ses yeux bleus comme l’océan, un regard aussi profond que les abysses, comme s’il me lançait un défi muet.

J’essaie de retrouver le rythme, de focaliser mon attention sur mon sac de frappe, mais le poids de son regard me trouble, perturbe ma concentration. C’est comme un moustique agaçant lors d’un pique-nique tranquille. Il s’insère dans mon moment de pause, envahit mon havre de paix, alors que je suis là, luttant contre ces démons qui me déchirent le corps, lacèrent mon cœur et affligent mon âme.

La colère gronde en moi comme une marée sauvage, attisée à chaque instant que ses prunelles azurées restent rivées sur moi. Je me sens comme une bombe sur le point de détoner, prête à exploser, prête à balancer mon poing en plein dans sa face pour lui apprendre le respect. Son audace nourrit ma rage, transforme mes veines en autoroutes de la fureur.

Mes sourcils se froncent, mes yeux se réduisent à deux fentes étroites et je lui lance un regard chargé de colère et de défi. J’espère que mon regard est aussi tranchant qu’une lame de rasoir, aussi ardent qu’un incendie sauvage, qu’il lui signifiera qu’il joue avec le feu. Qu’il ne mesure pas la portée de ses actes. Qu’il est en train de déclencher un ouragan qu’il ne pourra pas maîtriser.

Putain, on ne me regarde pas comme ça !

Et encore moins avec une telle insistance !

Ma colère atteint son apogée, mes nerfs sont à fleur de peau. Ce blondinet insolent qui n’arrête pas de me dévisager m’irrite comme aucun autre. Un juron s’échappe de mes lèvres alors que j’arrache mes écouteurs de mes oreilles et les fourre dans ma poche avec une rage féroce. En un éclair, je balance mes gants de boxe au sol, mon corps tout entier vibre sous l’intensité de ma colère.

Sans perdre une seconde, je me dirige d'un pas déterminé et furieux vers ce blond qui ose me dévisager comme un animal de foire. Je me poste devant lui, mes yeux sont deux fentes étroites, ma mâchoire est tellement serrée qu'elle pourrait se briser. Ce blondinet va comprendre qui je suis. Il va comprendre qu'il a commis une grave erreur en me dérangeant. Il va comprendre qu'il ne devrait jamais, jamais me regarder de cette façon.

— Tu cherches une photo à mettre sur ton mur, abruti ? je lui lance, les yeux brillants d’une fureur indomptée. Si tu es venu ici pour te faire refaire le portrait, t’as tapé à la bonne porte, imbécile !

Ce gars va amèrement regretter d’avoir croisé mon regard.

Mon cœur bat dans ma poitrine comme un roulement de tambour effréné, la colère atteint son apogée alors que je le fixe avec une intensité dévorante. Il semble désemparé, bafouille quelques mots sans queue ni tête – la preuve vivante qu’il flippe devant moi. Un sentiment de satisfaction malsaine m’envahit en le voyant paniquer, ressemblant à un lapin terrifié pris dans les phares d’une voiture.

C’est ça, blondinet, frissonne. Retiens bien la leçon.

— Non, je… Pardon de…

Je suis au bord de la folie, prêt à lui coller mon poing dans la figure, mes yeux brûlent d’une fureur indomptée, braqués sur son visage d’abruti. J’ai une envie irrépressible de lui balancer un coup qu’il ne risque pas d’oublier de sitôt. Je me retiens, mais pour combien de temps encore… Je suis sur le point d’exploser, et ce type, ce putain de type, est en train de creuser son propre trou avec ses dents. Il n’a aucune idée de la tempête qu’il est en train de déclencher.

— Attends, attends... je peux t'expliquer, balbutie-t-il, clairement déconcerté par la pression de mon regard qui le réduit en cendres. En fait, je voudrais que ma sœur apprenne à se défendre, à connaître un peu les techniques de boxe. Et toi, t'as l'air de bien maîtriser le truc. Alors, je me demandais... Tu serais partant pour lui donner quelques cours ?

Il prononce ces mots avec une voix trahissant sa nervosité, mais aussi une sorte de détermination inattendue. Malgré toute la colère qui bouillonne en moi, je ne peux m'empêcher d'être un peu surpris. C'est la dernière chose que j'aurais attendue de la part de ce blondinet.

Est-ce qu’il se fout de ma gueule ? Est-ce qu’il pense que je suis assez con pour gober ce genre de conneries ? Ok, je sais me battre, mais de là à ce qu’il me demande de devenir un putain de coach de boxe… L’idée est tellement ridicule que j’en serais presque amusé si je n’étais pas aussi énervé.

Je le dévisage un instant, essayant de comprendre ce qu'il mijote. Il a l'air mal à l'aise, se passant nerveusement une main dans ses cheveux blonds comme pour tenter de se donner une contenance. Il ne sait pas dans quoi il s'est embarqué, ce con.

Puis un ricanement sarcastique s'échappe de mes lèvres. Sérieusement ?! Il me prend pour qui, putain ? La nounou de service, peut-être ? Voyant que je me fiche carrément de sa gueule, il tente de se reprendre et réplique d'une voix plus assurée, plus déterminée :

— Je suis prêt à payer un max pour chaque leçon, si ça peut te faire changer d'avis.

Il croit vraiment pouvoir me soudoyer, ce minable ? Il se la joue avec son costume de luxe et son air de prince charmant. Il sort de sa poche une liasse de billets qu'il me balance sous le nez avec une audace qui me laisse sans voix. Son regard est rempli d'une assurance frôlant l'arrogance, comme s'il était convaincu que son argent pourrait me faire fléchir.

Mais il se fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude s'il croit que son fric va me faire plier. Je le regarde avec un mépris glacial, ignorant sa proposition ridicule. Je ne suis pas une prostituée à vendre, et il peut se carrer sa liasse de billets là où je pense s'il croit que cet argent, qui représente plus que ce que je gagne en une année, va me faire changer d'avis.

Il ne pourra jamais compenser ce que j'ai perdu. Il ne pourra jamais me ramener Arthur !

— Pourquoi moi ? je lui demande, balayant la salle d’un regard méfiant. Je suis sûr qu’un de ces gars pourrait t’aider, dis-je en pointant du doigt d’autres types qui s’entraînent. Tu crois vraiment que je suis le seul capable de donner des leçons de boxe dans ce trou à rats ? Penses-tu réellement que je suis le seul à pouvoir faire le boulot ? Tu te trompes, blondinet. Tu te trompes sur toute la ligne.

— Ça fait plus d’un mois que je viens ici, débute-t-il, laissant son regard dériver sur le ring avant de le ramener sur moi. Et de tout ce que j’ai pu observer, je peux t’assurer qu’il n’y a pas un seul de ces gars à qui je confierais ma sœur.

Il pointe un doigt vers un colosse qui s’acharne sur un punching-ball, puis continue :

— Tu vois ce mec là-bas ? Il est sans doute le plus entraîné et le plus fort de ce trou. Mais je doute qu'il puisse apprendre quoi que ce soit à qui que ce soit. Ce type est une machine à muscles sans cervelle. Et l'autre là, ajoute-t-il en montrant un autre gars du doigt. Son regard me fait flipper, je ne lui confierais jamais ma sœur, ni personne d'autre d'ailleurs. Et ensuite, tu as le groupe de gros bras sur le ring, il continue en tournant légèrement pour regarder le ring. Il est évident que ces mecs ont des problèmes avec toutes sortes de trucs illégaux.

Il a peut-être l'air d'un imbécile, mais il a un sacré sens de l'observation, je dois lui accorder ça.

— Et moi, alors ? Qu'est-ce qui te dit que je ne suis pas un putain de junkie ? Ou que je ne suis pas un salopard de pervers comme l'autre crétin là-bas, hein ? dis-je, mes yeux plantés dans les siens.

Que sait-il vraiment de moi ? Rien. Absolument rien. Et il a le culot de venir me demander de m'occuper de sa sœur. Quel con !

— Je ne crois pas, il me rétorque, plein de détermination. Je sais reconnaître un prédateur quand j’en vois un, et tu n’en es pas un. T’es juste un gars qui lutte avec ses propres démons, comme tout le monde.

Son observation me laisse complètement abasourdi. Comme s'il avait vu au plus profond de moi. Comme s'il avait percé à jour la façade que je m'évertue à maintenir. Il a touché un point sensible, ce petit con, et je ne sais pas si je dois lui en vouloir pour ça.

Finalement, j’opte pour un rire, un rire féroce, un rire cruel, un rire qui fait écho à la noirceur de mon âme. C'est trop. Trop de présomption, trop d'innocence. Trop de merde. Ce gars, il ne sait pas un putain de truc sur moi, et il ose me juger, prétendre qu'il sait qui je suis.

Quelle foutaise !

Je lui lance un dernier regard glacé, mes yeux brillent de dédain, avant de me retourner pour récupérer mes gants de boxe que j’avais lancés avec colère un peu plus tôt. Je les attrape avec une énergie revigorée, alors que mon sac de sport, abandonné négligemment dans un coin, est ramassé avec une fébrilité irrépressible. Les objets à l’intérieur s’entrechoquent, brisant le silence lourd qui nous avait emprisonnés. Ce blondinet peut regarder mon dos autant qu’il le veut, je ne lui donnerai pas la satisfaction de changer d’avis. Il peut rêver.

Je peux presque sentir son regard perplexe brûler mes omoplates pendant que je m'écarte, un sourire narquois s'étire sur mon visage. L'idée de jouer au super-héros pour sa petite sœur choyée est tellement ridicule que c'en est presque comique. Mais le rire ne se manifeste pas. Seul un grognement sourd qui résonne dans ma cage thoracique, un rappel brutal de la colère qui y loge toujours, prête à déchaîner son chaos au moindre signe de provocation. Alors, je continue de m'éloigner, laissant ce pauvre type et ses illusions ridicules derrière moi.

Ce mec, ce gamin de rupin qui ne connaît rien de la vraie souffrance, n'a pas la moindre foutue idée de ce qu'il demande. Il croit vraiment que je pourrais jouer les sauveurs pour quelqu’un ? Et pour sa petite sœur chérie en plus ?

C’est du pur délire !

Sa naïveté me rendrait presque malade. Quelle erreur monumentale de croire que je pourrais être le sauveur de qui que ce soit, encore moins de sa précieuse sœur.

Quelle stupide erreur...

Je suis loin d'être un héros. Je suis une tempête, remplie de rage et de brutalité, à deux doigts de tout foutre en l'air. Sur le ring, quand mes poings fracassent les visages de mes adversaires, il y a cette décharge sauvage qui me parcourt, comme une foutue décharge électrique. Ce sentiment quand les os craquent sous l'impact, les mâchoires qui lâchent, les nez qui se brisent, ça me remplit d'une énergie noire et vorace. Et ce qui est encore plus vicieux, c'est cette putain de satisfaction qui me traverse quand je les vois tomber, vaincus, tordus de douleur sur le sol.

Non, ce mec, ce blondinet friqué, il ne comprendra jamais. Il ne peut pas comprendre. Il ne voit pas que je suis tout sauf un modèle, un putain de prof pour sa frangine. Comment pourrais-je, moi qui ne suis même pas foutu de gérer mes propres tourments intérieurs, apprendre à quelqu'un d'autre à affronter ses peurs ? Je suis une bête, un animal enragé, qui se perd dans ses propres délires, dévoré par ses propres démons. Comment pourrais-je être autre chose que la bête féroce qui gronde en moi ?

— Eh, vieux !

Je suis en plein rush pour remplir mon sac de mes affaires quand une voix familière attire mon attention. Je pivote pour voir Matt, débouler des vestiaires avec son habituelle allure décontractée. Un rapide coup d'œil suffit pour repérer le gros suçon qui orne son cou, ce qui me fait sourire malgré moi. Matt, ce séducteur invétéré, arbore une tignasse blonde débraillée qui lui donne un look de bad boy irrésistible, et son tee-shirt blanc, moulant comme une seconde peau, met en valeur un torse sculpté. Mais ce qui capte le plus mon regard, c'est son sourire, ce sourire lumineux qui illumine son visage, comme si la nuit qu'il venait de passer était l'une de ces nuits mémorables.

— À ce que je vois, ta soirée a été plutôt mouvementée, dis-je alors qu'il se plante face à moi. Alors, qui est la dernière victime en date ?

— Je ne suis pas du genre à donner des noms, me rétorque-t-il, un sourire coquin jouant sur ses lèvres. Mais je peux te dire une chose : la nuit a été sacrément explosive.

— Je n'en doute pas.

— D'ailleurs, je suis surpris de te voir ici aujourd'hui, ajoute-t-il en enfilant ses gants de boxe.

— J'avais besoin d'évacuer un peu.

Business as usual, quoi. Sinon, ce soir, on se retrouve tous au lac de Jouy, m'annonce-t-il avec un enthousiasme contagieux. Alors si tu as envie de passer un bon moment, tu sais où nous trouver.

Il m'esquive et se dirige vers la salle de sport, mais pivote subitement.

— On organise un petit truc demain soir au stade. Donc, tu devrais passer, si tu peux.

— Un petit truc, hein ? dis-je, une moue dubitative déformant mes traits.

Je connais ses "petits trucs". Ce sont des rassemblements gigantesques de la jeunesse déchaînée de la ville, des lycéens aux étudiants, en passant par les fêtards invétérés qui n'ont rien à voir avec l'éducation. Des soirées endiablées, bruyantes, où l'alcool coule à flots et où les inhibitions sont laissées à la porte. Et c'est précisément là que se trouve le problème.

Je suis aux antipodes de tout ça. J'ai du mal à supporter la compagnie des autres. C'est comme ça, c'est dans ma nature. Les gens me fatiguent, me pompent l'air. Je n'ai aucune envie de me mêler à une foule d'inconnus, de devoir sourire, faire la conversation, jouer le jeu de la sociabilité.

Alors, même si je sais que Matt m'invite seulement parce qu'il pense que sortir un peu et m'amuser pourrait me faire du bien, son invitation m'irrite. Il sait qui je suis. Il sait quel jour nous sommes.

— T’es vraiment gonflant, Matt, tu te rends compte ? Pourquoi tu t’entêtes à m’inviter à tes soirées décadentes, alors que tu sais très bien que c’est la pire journée possible pour moi ? Trois ans, putain. Trois foutues années sans Arthur, et tu penses que je vais faire la bringue ? À m’imbiber comme une éponge et à me fendre la poire avec des gens que je ne peux pas blairer ?

La perte de mon frère est un poids, un putain de boulet qui me tire vers le fond, qui me noie dans un tsunami de douleur que je n’arrive pas à apaiser, encore moins aujourd’hui. Alors ouais, je peux sembler agressif, je peux même passer pour le dernier des connards.

Parce qu’à chaque fois, chaque foutue fois, je finis par perdre les pédales et laisser ma colère exploser sur le premier malheureux qui a le malheur de croiser mon chemin. À projeter ma colère sur quelqu’un qui ne mérite pas plus ces coups que moi. C’est comme si toute la douleur, la fureur et le désarroi que j’ai gardés enfermés dans ma poitrine s’échappaient tout à coup, aveugles et dévastateurs, s’abattant sur une cible qui ne mérite pas plus ce déchaînement que moi. C’est brutal, c’est inéquitable, c’est injustifié… mais c’est ainsi.

— Et tu sais quoi ? C’est un putain de miracle que je n’aie encore démolit la tronche à personne aujourd’hui. Mais la journée n’est pas finie. Il est seulement que seize heures trente et je sens que ma patience est déjà à bout.

Lorsque je m’arrête, le visage de Matt s’assombrit tristement, ses sourcils se froncent légèrement et ses lèvres se pincent, comme pour montrer qu’il comprend ma peine. Cette expression peinte sur son visage me serre le cœur davantage.

— Merde, mec, je suis désolé, je n’aurais pas dû...

Je ne trouve pas les mots pour exprimer ce tourbillon de regret et de culpabilité qui me submerge, mais je reprends d’une voix pleine de remords.

Je ne voulais pas être aussi…

— Abrutissant ? me coupe Matt, son sourire légendaire retrouvé.

Avec une telle facilité, il désamorce la tension, cette fichue tension que je crée toujours. Il sait comment me gérer, comment encaisser mes sautes d'humeur, comment rester le phare stable au milieu de la tempête qu'est ma vie.

Un rictus s’étire lentement sur mes lèvres, mes prunelles scintillent d’une gratitude profonde envers Matt. Nous avons navigué à travers un océan de tempêtes, escaladé des montagnes de difficultés, mais il est toujours là, ancré à mes côtés. Solide comme un roc et fidèle comme un soldat. C’est dans ce moment précis que la réalisation frappe mon âme avec la force d’un ouragan : malgré la fureur, l’agonie et la mélancolie qui tourmentent mon cœur, j’ai la putain de chance d’avoir un frère d’armes comme Matt.

Je me faufile dans les vestiaires, mon corps saturé de sueur et de fatigue réclamant un répit après l’entraînement éprouvant. Je m’introduis sous le jet d’eau brûlante de la douche, laissant l’eau piquer ma peau et envelopper mes muscles tendus. L’eau coule à flot sur moi, apaisante et revigorante, effaçant les traces de mes combats précédents.

Chaque goutte qui me frappe est une absolution, un effacement éphémère de la souffrance. C’est comme si, durant ces minutes précieuses, je pouvais effacer tout, comme si l’eau avait le pouvoir de balayer mes tracas, mes angoisses, mes douleurs. L’air se réchauffe, devient moite et presque étouffant, mais je m’y immerge avec extase, goûtant cette courte trêve dans mon quotidien tumultueux.

Alors que je m’efforce de me débarrasser de la sueur et de la crasse de la journée, une voix familière retentit, une voix qui fait frissonner ma peau tout en m’agressant les oreilles.

Le Pervers !

C’est le surnom qu’on lui a tous attribué ici. Ses bavardages incessants, sa voix éraillée qui se faufile dans chaque coin du vestiaire, tout ça me révulse. Son timbre vocal suffit à déclencher une réaction instinctive, les poils de mes bras musclés se hérissent et mes nerfs se mettent en alerte. Une véritable répulsion qui ne fait qu’accentuer la tension qui m’habite déjà.

Un sourire féroce se dessine sur mes lèvres en repensant à notre dernier face à face. Il avait eu l’audace de me provoquer, pensant probablement que j’étais une cible facile après un entraînement épuisant. Mais je lui ai servi une correction dont il se souviendra. Un uppercut précis et dévastateur, suivi d’un crochet brutal, et ses chicots ont valsé sur le carrelage immaculé. Sa côte cassée n’était qu’un bonus, un souvenir indélébile de ma rage incontrôlable.

Cependant, malgré l’ouragan de rage qui déchaîne son tumulte en moi, je choisis de lui accorder un répit aujourd’hui. Après tout, il est encore en train de se remettre de la dérouillée que je lui ai infligée. Je ne suis pas si cruel pour le malmener alors qu’il est encore en train de panser ses blessures. Mais qu’il ne se trompe pas, la prochaine fois que nos chemins se croiseront, je serai prêt à danser à nouveau notre ballet morbide, ce pas de deux infernal où chaque coup est une note discordante dans la symphonie de notre antagonisme.

Dès l’instant où je franchis le seuil de la salle de sport, une scène effroyablement captivante accapare mon regard. Matt est là, en plein duel avec une bête de combat. Ce gars bouge avec une agilité qui contraste avec son imposante stature, évitant les attaques de Matt avec une facilité déconcertante. Et puis, en un éclair de mouvement sauvage, la brute fait rebondir Matt contre les cordes du ring, son poing lourd frappant brutalement son visage. Je vois la tête de Matt osciller violemment sous le choc, et cette vision me frappe comme un coup de poing dans l’estomac. L’image de Matt ainsi déstabilisé, et sonné, m’envahit et me laisse pantois, frappé de stupeur.

Alors que nos regards se croisent dans l’arène de combat, un sentiment féroce me traverse l’âme, puissant comme une rafale de vent. Putain, comme je déteste le voir sur ce ring. Ça me tue de savoir que la boxe est son refuge, son exutoire, son addiction. Qu’il sache se défendre, OK, je peux le tolérer. Mais le voir se jeter tête baissée dans la gueule du loup, s’exposer à ces coups brutaux, c’est une tout autre paire de manches.

Si j’en avais le pouvoir, je bannirais purement et simplement le ring de sa vie. Les matchs, les duels, toutes ces batailles qui le mettent en danger. Je les effacerais, les éradiquerais de sa vie, pour le protéger. Mais je sais aussi qu’en le faisant, je lui arracherais une part essentielle de son âme. Et ça, je ne peux pas le faire.

Matt a toujours été un battant, obstiné et inébranlable. Mais à mesure que le combat s’étire, je vois ses attaques perdre de leur tranchant. Sa respiration se fait plus lourde, plus difficile, chaque souffle lui coûte. Il est clair que l’épuisement commence à le grignoter, morceau par morceau.

Et là, une fois de plus, ce spectacle de lui à bout de forces… C’est une lame tranchante qui lacère mon âme. Chaque mouvement éreinté, chaque goutte de sueur qui perle sur son visage, chaque souffle déchiré qui s’échappe de ses lèvres… C’est une torture de le voir ainsi, et une part de moi se brise à chaque coup qu’il encaisse.

Une inquiétude grandissante s’empare de moi tandis que je regarde l’adversaire prendre l’ascendant, renversant finalement Matt sur le sol. Un malaise persistant serre ma poitrine, et un doute paralysant me hante, questionnant la capacité de Matt à se relever de ce renversement et à reprendre les rênes du combat. Chaque contusion, chaque coup, chaque douleur qu’il endure… c’est comme si ces douleurs étaient les miennes, et bon Dieu, je ne peux pas supporter ça.

C’est insoutenable… Je ne peux pas supporter de le voir comme ça… C’est un véritable supplice pour mon âme, comme une torture qui me déchire de l’intérieur. Mon cœur se contracte, se tord d’angoisse et de frustration, et je ne peux que rester là, impuissant, à observer l’agonie de Matt. C’est plus que ce que je peux supporter.

Une tempête de fureur déchaînée dévaste mon âme, transformant mon impuissance en une rage brûlante. Je ne peux que regarder en spectateur impuissant alors que Matt lutte férocement pour rester debout. Chaque parcelle de lui hurle de fatigue, son corps vacille, trahissant son épuisement mais il refuse de se rendre, refuse de flancher. Il est déterminé, ses yeux éclatent d’un défi indomptable. Il est prêt à tout donner, jusqu’à son dernier souffle.

De l’autre côté, son adversaire est un cauchemar en chair et en os. Un prédateur sadique qui ne connaît aucune pitié, aucun remords. Il fond sur Matt, prêt à porter le coup de grâce, comme un fauve affamé prêt à dévorer sa proie. Il savoure chaque instant, son regard glacé prévoit déjà la chute de Matt, déjà ivre de victoire. Une seule idée tourmente mon esprit, résonne en écho avec les pulsations effrénées de mon cœur.

Un coup de plus, et je le réduis en poussière !

Cette pensée consume tout le reste, dévorant mon âme, agitant mes nerfs au point d’éclater. Chaque fibre de mon être frémit, se tend, tremble sous une vague de fureur irrépressible. Personne n’a le droit de porter la main sur Matt.

Personne !

Pas tant que j’ai encore un souffle de vie en moi, pas tant que mon cœur bat dans ma poitrine. Et putain, je suis prêt à déchaîner les enfers pour lui.

Le colosse brandit son poing, se préparant à délivrer le coup qui mettrait fin à tout. C’est trop, bien plus que ce que mon cœur peut supporter. Je me précipite vers le ring, le sang bouillonnant de rage dans mes veines, déterminé à arracher Matt de cet enfer. Mais à ma plus grande stupeur, Matt esquive le coup fatidique et répond avec une vigueur stupéfiante.

Il se glisse sous le bras tendu de son adversaire, pivote et lance un uppercut ravageur qui se loge dans les côtes du géant. La bête tombe sous le poids de l’impact, désarçonnée par la douleur, et le combat bascule abruptement en faveur de Matt. C’est une tempête de coups, une danse de fureur, une symphonie de la survie.

Et bordel, Matt est le roi de ce putain de ring !

Et, dans la fièvre d’un seul battement de cœur, l’impulsion de me précipiter vers lui, d’hurler notre victoire au monde entier, m’envahit. De clamer notre triomphe, la solidité de notre lien. De proclamer sans aucune retenue qu’il est mon héros, mon putain de héros…

Bordel, je crois que mes pensées débordent un peu là.

Quoi qu’il en soit, une vague déferlante de soulagement me submerge alors, mes poings se détendent, mon cœur ralentit son rythme effréné. Le combat atteint son sommet lorsque le colosse lève les bras, signe de capitulation devant Matt. Un Matt victorieux, trempé de sueur et épuisé, mais rayonnant de triomphe, se fraye un chemin jusqu’à moi. Un sourire fatigué mais éclatant illumine son visage, alors qu’il s’éponge le front avec une serviette, ses yeux brillent de cette flamme de victoire.

— Beau boulot, je lance, masquant mes appréhensions derrière un sourire faussement serein. T’as mis le feu au ring, mec. C’était hallucinant.

En vrai, il y a eu un instant où j’ai flippé à l’idée de le voir se faire laminer. Mais je garde ce truc pour moi. Pas besoin que Matt sache à quel point ça me tord les tripes de le voir encaisser les coups furieux d’un autre.

— Tu te fiches de moi, pas vrai ?! me balance-t-il, son visage s’illuminant d’un sourire narquois. J’ai vu ta tronche, tu étais sur le point de débouler sur le ring pour me tirer d’affaire, avoue-le !

Et avec ça, il éclate de rire, le son de sa voix résonne à travers la salle, sa gaieté contagieuse malgré l'adrénaline encore palpitante de ma récente frayeur.

— Je savais que tu allais te remettre sur pied, mec.

— Tu es vraiment un mauvais menteur, tu le sais ça, imbécile ?

— On dirait que ça nous met à égalité alors, je riposte, m'alignant sur son sarcasme. Maintenant, file à la douche. Après, c'est moi qui régale chez Maude.

— Impossible de refuser une proposition aussi tentante.

Alors que Matt s’éclipse pour une douche bien méritée, je m’affale sur un banc à proximité, m’imprégnant de l’atmosphère de la salle d’entraînement. Mes yeux se perdent dans les détails de la pièce : le grain rugueux des murs de béton, ornés de posters des légendes de la boxe comme Mohamed Ali – l’indétrônable titan de l’arène à mes yeux. Les sacs de frappe oscillent doucement, suspendus au plafond, comme s’ils se languissaient du prochain combat. Le ring, orgueilleusement campé au centre de la salle, encadré de cordes tendues, rouges et blanches, préparé pour supporter la furie des duels.

Le bruit de fond du lieu est une symphonie de force brute – les coups de poings et de pieds qui frappent les sacs de sable esquissent une mélodie hantée d’adrénaline pure qui s’infiltre dans mes oreilles, une rhapsodie d’effort physique.

Ensuite, je me tourne vers ce mec, « le pervers », comme on l’a surnommé. Ce n’est pas le genre de brute que tu t’attendrais à voir, mais il est tout encre et en art. Des tatouages qui serpentent sur ses bras, ses mains, ses jambes, grimpant jusqu’à son cou. Un peu comme moi, sauf que mon art est plus distrayant, racontant une partie de mon histoire.

Son visage est un champ de bataille, avec un nez qui a rencontré plus de poings qu’un sac de sable, et une bouche toujours prête à cracher du sarcasme. Ses yeux sont une tempête d’obscurité, et cette énergie sombre s’étend à la manière dont il se déplace, aux regards qu’il lance autour de lui. Il a une aura, une vibe qui te donne des frissons jusqu'à l'os.

Cette salle de sport est devenue mon refuge, mon asile personnel, où je peux me dépouiller de mes pensées et laisser libre cours à mes instincts les plus bruts. Le cadre rudimentaire et enivrant de cette salle me permet de me reconnecter avec mon corps et mon esprit. Ça peut sembler bizarre, voire un peu décalé, mais c’est dans cet endroit que je me sens vraiment vivant. C’est un lieu où je peux être moi-même sans fard, où je peux transformer ma rage, ma colère et ma haine en une force positive.

Tandis que j’attends le retour de Matt, mes pensées commencent à graviter autour de lui. On est liés, lui et moi, par une fièvre de la boxe qui nous consume. On est deux pôles opposés, mais ensemble, on forme un tout parfait. C’est comme si on avait trouvé un équilibre parfait, une force brute et impétueuse qui nous aide à braver les tempêtes les plus violentes. Oui, je suis souvent rongé par une colère dévorante, une fureur qui ne demande qu’à être libérée. Mais Matt, ce gars est comme un phare dans la tempête, une oasis de calme au milieu de mon chaos. Il est celui qui m’apaise, qui m’ancre quand je suis sur le point de perdre pied.

— En route, grosse brute ! me taquine-t-il, se dirigeant vers la sortie. Maude nous attend.

Quand Matt réapparaît enfin, semblant renaître de sa douche, je me lève de mon perchoir, le dévorant du regard. Il est habillé d’un jean gris qui moule ses jambes musclées et d’une chemise blanche, dont il a retroussé les manches jusqu’aux coudes, révélant ses avant-bras bien dessinés. Pour un instant, mon regard s’égare sur son derrière, tonique et bien moulé par le jean. Il se tient là, comme un dieu grec descendu du Mont Olympe, exsudant une aura de virilité pure et brute qui fait battre mon cœur à un rythme effréné.

Putain, un dieu grec ? D’où est-ce que je sors cette merde ? Et pourquoi est-ce que mon entrejambe semble prendre un malin plaisir à la vue de ce derrière parfaitement moulé ? Quoi ? Non… Euh… je voulais dire que je suis distrait par ces mollets d’acier, et non pas ce cul qui… Merde… Arrête… Il n’y a rien d’exceptionnel chez lui, à part peut-être son cœur. Un cœur qui compte autant pour moi que le mien compte pour lui. Merde, qu’est-ce que je suis en train de déblatérer ? Pourquoi est-ce que tout d’un coup, mon corps et mon esprit semblent être sur deux longueurs d’onde différentes ? C’est Matt, mon meilleur ami. Je dois juste être crevé. Ouais, c’est ça. Je suis crevé. J’ai juste besoin d’un verre bien fort et d’une bonne nuit de sommeil. Et d’une putain de bonne partie de jambes en l’air…

Quelques minutes plus tard, Matt et moi nous retrouvons devant la devanture usée du bar de Maude. Dès que nous franchissons le seuil, une mélodie entrainante nous enveloppe, balayant toute pensée de la soirée écoulée. La musique, intense et palpitante, s’infiltre en nous, faisant vibrer nos âmes au rythme des percussions. Des éclats de rire et des discussions animées s’élèvent depuis le fond du bar, créant une atmosphère d’insouciance et de gaieté.

Une bande de potes se tient là-bas, partageant des verres et des histoires, leurs visages illuminés par les lueurs tamisées du bar. L’endroit est plein de vie, d’histoires partagées et de connexions humaines, un refuge parfait pour célébrer notre victoire du jour. Je peux presque sentir la joie, la camaraderie, et même l’amour qui se dégage de ce lieu. C’est là que nous, Matt et moi. C’est notre place dans le monde.

On se fraye un passage parmi la masse humaine, atteignant notre cachette secrète. J’ouvre la voie, Matt dans mon sillage, tirant derrière lui ce rideau lourd, noir et dégoulinant qui nous offre une intimité précieuse. Vu notre âge, Maude insiste pour qu’on reste à l’abri des regards. Y’a quelque chose d’étrangement excitant, limite interdit, à se glisser derrière ces rideaux sombres et collants. Un coin à l’abri des regards, un endroit sombre loin des fouineurs. Ouais, ça sonne un peu glauque, je l’admets, mais franchement, je m’en fous. Maude, elle est la seule dans le coin qui nous laisse boire en paix sans nous prendre la tête avec des histoires de carte d’identité.

Je me sens comme un gosse qui vient de voler des bonbons à la supérette du coin. Comme si on se faufilait dans un club secret réservé aux adultes. Mais c’est notre terrain de jeu à nous, notre monde interdit, notre bar. Et ce soir, on a gagné le droit d’y être. Nous avons le droit à notre petit bout d’adulte. Pour la soirée, nous sommes rois.

— Hé, mes petits chéris ! Maude se pointe devant nous, avec son plateau rempli à ras bord. Je parie que vous êtes venus pour votre potion magique habituelle, n’est-ce pas ?

Elle balance ces mots avec un sourire malicieux qui éclaire tout son visage. Sa voix rauque porte une touche de tendresse, comme si nous étions plus que de simples clients pour elle. Et en réalité, c’est le cas. Maude, c’est notre deuxième maman, celle qui nous accueille toujours avec un verre et un sourire.

Avant même qu’on ait le temps de claquer nos langues, elle dépose nos verres de vodka glacée sur la table avec un sourire ravageur. Maude, en pleine forme et rayonnante comme un soleil de minuit, a un genre de magnétisme qui capte l’attention comme un aimant géant. Ses cheveux flamboyants, coupés court et sauvage, encadrent un visage aussi fin que ses traits. Ses yeux marron, étincelants de malice, attirent le regard comme des phares dans l’obscurité. Son sourire, large et généreux, illumine son visage, y ajoutant une chaleur qui est carrément contagieuse. Elle est svelte, habillée d’une manière qui mélange élégance décontractée et confiance en soi, un parfait reflet de son sens du style inné. Maude, elle a cette étincelle, ce charme indéniable, et cette voix douce et légèrement moqueuse qui fait d’elle une figure incontournable et respectée par tous ceux qui fréquentent le bar.

— Ainsi donc, toi et ma petite Manon, vous êtes ensemble ? déclare Maude en direction de Matt, et je manque de m'étrangler en avalant une gorgée de vodka.

Qu'est-ce qu'elle vient de dire ? Manon et Matt ?! Mon regard se tourne vers Matt, la surprise clairement visible sur son visage. Ses joues prennent une teinte cramoisie et il baisse légèrement les yeux, cherchant ses mots. Je suis à deux doigts d'éclater de rire en voyant sa réaction, mais je me contiens, conscient que Maude attend une réponse.

— Heu, je… je ne suis pas tout à fait sûr, peut-être, bafouille Matt, manifestement décontenancé.

Je laisse tomber ma tête, luttant contre le rire qui danse dans ma gorge. Manon, vraiment ?! Il aurait pu choisir une nana un peu plus… raffinée. Manon est, sans le moindre doute, la plus farfelue des femmes que j’ai jamais croisées. Son humeur est un yo-yo permanent, balançant d’un rire hystérique à une furie sauvage en un clin d’œil. Mais le plus drôle, c’est que cette gamine, à peine sortie de l’adolescence, est complètement tarée. Et je n’exagère pas. Elle pourrait sortir les griffes sans aucune raison, juste pour montrer qu’elle n’est pas une petite chose fragile. Je suis prêt à parier qu'elle adore avoir le contrôle sur les mecs.

Attends…

Je relève brusquement la tête, plantant mon regard dans celui de Matt. Peut-être que c’est exactement ce qui le branche. Peut-être qu’il kiffe être sous la coupe de ces filles-là. Maude s’éclipse pour s’occuper de ses affaires et je ne peux plus me retenir, un rire incoercible me secoue, faisant vibrer chaque muscle de mon corps. Matt me lance un regard assassin, ce qui n’a pour effet que de déclencher une nouvelle salve de rires chez moi.

— Manon, sérieusement ? ! Je ne savais pas que tu avais un faible pour les femmes dominatrices, mon vieux ! je ris, me tenant les côtes tant je suis plié en deux. Mais après tout, à chacun ses préférences, non ?

— Ouais, c’est ça, continue de te marrer, imbécile. Juste pour ton esprit tordu, sache que c’est moi qui mène la danse.

Quel beau parleur ! Et quelle putain de révélation, soit dit en passant.

— T’es aussi pourri en mensonge que moi, Matt.

— Manon assure grave au pieu, lâche-t-il avec un sourire satisfait, comme pour justifier ses choix de partenaires.

— Donc c’est pour ça que t’es sérieux avec elle ? je renvoie, mort de rire, à la fois hilare et intrigué.

— La ferme, abruti. T’as pas la moindre idée de quoi tu parles.

La pièce prend une tournure différente lorsque Manon fait son entrée, fracassante comme toujours. Rayonnante de joie, elle saute sur les genoux de Matt avec un enthousiasme débordant.

Bordel, elle est carrément à fond sur lui !

Je reste sidéré devant cette démonstration, riant à gorge déployée devant le spectacle. Manon est si heureuse d'être aux côtés de Matt qu'elle semble totalement ignorer mon fou rire. Vêtue d'une robe rouge moulante qui met en valeur ses formes voluptueuses, ses cheveux roux flamboyants sont noués en une queue de cheval haute, reflétant bien son esprit libre et spontané. Sa joie débordante en sautant sur les genoux de Matt ne fait que le confirmer.

En contemplant la scène, je ne peux ignorer le malaise flagrant de Matt face à l’assaut amoureux de Manon. C’est à mourir de rire, mais je me mords la langue pour m’abstenir de tout commentaire. Pour dompter mon fou rire, je sors l’artillerie lourde : une rasade de vodka, essayant de retrouver un visage impassible. Manon, dans sa bulle, semble complètement aveugle au malaise de Matt. Elle jacasse comme une pie et remue dans tous les sens avec une vitalité contagieuse, tout à fait à son image. Si la soirée continue sur ce rythme, je sens que garder mon masque impassible va s’avérer difficile.

Subitement, Manon sort un peigne de son sac à main et se lance à l’assaut des mèches blondes rebelles de Matt, les apprivoisant en une coiffure si banale qu’elle en devient risible. Je lutte pour garder mon sérieux, mordant ma lèvre dans une tentative désespérée de retenir mon hilarité. Mais finalement, c’est un combat perdu. Je me laisse aller dans un fou rire si intense que j’oublie momentanément de respirer.

— Qu’est-ce qui lui arrive ? Manon jette un regard perplexe vers Matt, dont la fierté semble s’évaporer comme un château de sable sous la marée montante.

La perplexité se peint sur son visage alors qu’elle essaye de percer le mystère de ma crise de rire. Matt, lui aussi, semble carrément dérouté, ses sourcils se plissant dans une expression de surprise et de confusion. Quant à moi, je suis incapable de retrouver ma respiration, emporté dans un éclat de rire débridé et incontrôlable.

— Oh, rien d’important. Disons simplement qu’il se marre bien à mes dépens, mais ne t’en fais pas, ma belle, tout baigne, lui réplique Matt sur le ton de la dérision.

Telle une tempête prête à exploser, Manon s’abat sur Matt, s’emparant de sa bouche dans un baiser à la fois féroce et passionné. Leurs lèvres se rencontrent dans une danse effrénée, dégageant une tension sexuelle palpable. Pris dans ce tourbillon d’émotions, Matt semble perdre pied avec la réalité, totalement ensorcelé par sa partenaire impulsive. Avec une tendresse qui contraste avec l’ardeur du moment, il effleure la joue de Manon du bout des doigts. Mais elle le repousse fermement, le plaquant contre le dossier du canapé, bien décidée à mener la cadence. Il est clair que cette meuf sait comment tenir les mecs en laisse.

Elle mène Matt à la baguette !

Et je peux vous dire que je suis à deux doigts d’exploser de rire. Un rire authentique, libérateur, du genre que je n’ai pas ressenti depuis une éternité. Quand est-ce que j’ai ri aux éclats pour la dernière fois ? Ah oui, ça remonte à exactement trois ans, avant que la mort tragique de mon frère ne me précipite dans un gouffre de désespoir… La douleur resurgit soudainement, faisant dérailler mon fou rire en plein envol. Mon rire se dissipe, meurt sur mes lèvres, et je me replie sur moi-même.

— Aaron, demande Matt, une note d’inquiétude dans sa voix. Ça va ?

Je choppe mon verre, le descends cul sec et le claque violemment sur la table, captant le regard abasourdi de Manon.

— Tu sais, tu es vraiment un cas, toi, lâche-t-elle sans préambule.

— Et toi, tu es encore plus barrée, je réplique, en piquant le verre de Matt pour le siffler d’un trait.

— On va se calmer, intervient Matt, posant sa main sur la mienne pour me dissuader de finir son verre. Manon, va nous chercher un autre verre, mais essaye de lever un peu le pied, OK ?

— Pour qui tu me prends ? réplique Manon, tout feu tout flamme. Ta servante ?

— Ma puce, fais un effort, la supplie Matt.

— Non, s’il veut un autre verre, il peut très bien me le demander lui-même, et avec un minimum de respect.

Ah ouais, elle se fout de moi, là ! En réponse, je lève mon majeur et lui mets bien sous le nez.

— Va te faire cuire un œuf, la rousse !

— C’est à moi que tu la ramènes, demeuré ?

— C’est bien ça, la carotte !

— Tu vas le regretter, jure-t-elle, en pétard. Je te promets que je vais te castrer et te faire bouffer tes couilles si tu continues.

— Tu ne m’impressionnes pas, la tache.

— C’est moi que tu insultes, espèce de gland ?

— Évidemment, regarde-toi, tu es la seule avec le visage parsemé de taches de rousseur. Donc, oui, c’est bien à la rousse constellée que je cause.

Manon grogne puis saute littéralement sur la table pour venir se blottir sur mes genoux. Elle attrape ma chevelure et tire sans ménagement, ce qui me fait éclater de rire. Cette fille est totalement déjantée, et pas seulement au sens figuré. En vérité, j'adore la titiller et la pousser à bout, cela me divertit énormément.

— Chérie, tu ne vois pas qu'Aaron se joue de toi ? lance Matt en tentant de calmer le jeu.

— De quoi tu parles, imbécile ? rétorque-t-elle en se tournant vers Matt pour le foudroyer du regard. Et puis toi aussi, tu es un crétin ! Plutôt que de dire des idioties, tu ferais mieux de me défendre, bon sang !

— Désolé, mais ce sont vos problèmes, pas les miens, réplique Matt en s'installant confortablement sur sa banquette.

— Ah bon, donc tu préfères rester là à ne rien faire, c'est ça ?

— Exactement, princesse. Après tout, tu es ma "presque" petite amie et lui est mon meilleur ami, donc…

Cette fois-ci, Manon se retourne avec une fureur indomptée, bondissant sur le sol du bar pour se retrouver face à Matt. Ses yeux sont emplis d'une colère intense, et l'atmosphère devient électrique.

Il semble qu'une dispute explosive est sur le point d'éclater !

— « Presque » petite amie ! explose-t-elle, fulminante. Donc pour toi, je suis juste une « presque » copine ?

— Calme-toi, ma belle, répond Matt sans montrer une once de remords.

Si j’étais à sa place, je serais probablement aussi offusquée par ce terme de « presque ».

— Et tu ne trouves rien de mal à me qualifier de « presque » petite amie ? continue Manon, perdant de toute évidence sa patience.

— En fait, non, je ne vois pas ce qui ne va pas, répond Matt, manifestement désarçonné.

Oh mon Dieu !

Ces deux-là sont une source inépuisable de divertissement, franchement, c’est à mourir de rire. Manon vire au rouge tomate, puis, sans crier gare, elle attrape le verre de Matt et le renverse sur son doux visage. Je n’arrive pas à me retenir, je ris à en perdre le souffle.

Bon sang… Je suis à deux doigts de mourir de rire…

Manon se tourne vers moi, son visage rouge cramoisi émettant une chaleur presque visible. Sans avertissement, elle fait un demi-tour élégant et se fait la malle, laissant Matt et moi seuls dans notre hilarité mutuelle. Quand je jette un œil à Matt, un rire démentiel me secoue. Ses mèches blondes dégoulinantes de vodka me font plier en deux de rire. Sa dignité, elle, est partout sauf ici.

— Vous formez une paire sensationnelle, dis-je sans pouvoir contenir mon amusement.

— Aaron, si tu ne cesses pas de te moquer de moi, je te promets que tu feras rapidement connaissance avec mes poings.

— Je suis un fervent fan de votre « relation », Matt, et je te soutiens à fond. Allez, retourne donc retrouver ta dulcinée volcanique et laisse-toi dominer à sa guise.

— Tu es un vrai casse-pieds, Aaron ! rétorque Matt, irrité.

— Non, pas un casse-pieds, Matt. Je suis sincère. Si tu tiens vraiment à elle, je lui dis en le fixant avec sérieux. Alors, prends ton courage à deux mains et présente-lui tes excuses.

— D’abord, me lance-t-il en appuyant ses avant-bras sur la table, Manon n’est pas ma copine. On est ensemble uniquement pour le plaisir physique. Deuxièmement, tu m’imagines réellement amoureux maintenant ? J’ai dix-sept ans, bon sang, et tout ce que je veux, c’est m’éclater. Et enfin, je ne peux pas tolérer qu’elle te déteste. Si elle veut partager ma vie, elle va devoir t’accepter tel que tu es. Point barre !

Je suis touché par la franchise brute avec laquelle Matt s’exprime. Je ne pensais pas que l’image que Manon se faisait de moi pouvait avoir autant d’importance à ses yeux.

— Tu vois, continue-t-il en croisant mon regard, ce que Manon pense de toi compte énormément pour moi. Je sais que tu te fiches de l’opinion des autres, mais pour moi, c’est une autre histoire. C’est crucial que la fille avec qui je passe du temps soit au moins en bon terme avec toi. Elle n’a pas besoin de t’aduler, mais je ne supporte pas l’idée qu’elle puisse te haïr. C’est une question d’équilibre, Aaron.

Ai-je déjà mentionné que, malgré ma nature volcanique, c’est ce petit emmerdeur qui parvient à attendrir mon cœur de pierre ? Car, au cas où vous l’auriez manqué, ses paroles me touchent en plein cœur.

— Merci, je murmure avec une sincérité qui déborde de chaque mot, mon regard rivé sur mon verre désespérément vide, touché par ses paroles.

— Merci pour quoi ?

— Pour tout, Matt. Pas uniquement pour ces trois dernières années infernales, mais pour chaque instant précieux partagé. Merci d’être toujours là, infaillible, quand j’ai le plus besoin de toi. Merci d’être cette constance, cette lumière dans ma vie.

Je lève les yeux, et nos regards se fusionnent, la surprise imprimant ses traits sur son visage. Ces moments où je laisse mon masque tomber sont rares, mais parfois, je ne peux tout simplement pas les retenir. Pas de place pour le doute, Matt est le seul qui a le pouvoir de ranimer le moi d’autrefois, celui que j’ai relégué aux oubliettes après la perte de mon frère. Aucun autre ne peut déverrouiller mon cœur de granit et raviver la braise de mes sentiments comme lui. Un sourire commence à se dessiner sur les lèvres de Matt, comme si ce moment avait une valeur inestimable à ses yeux.

— Le sentiment est partagé, mon vieux. Tu es là pour moi et je suis là pour toi. C'est comme ça depuis nos sept ans, et ce n'est pas près de changer, affirme-t-il avec assurance tout en sortant son téléphone portable de sa poche pour jeter un œil à l'écran. Je dois y aller, Tiffany m'attend.

Dans un geste typiquement amical, Matt me frappe vigoureusement l'épaule, son sourire complice faisant écho à sa camaraderie, avant de se retourner. Il tire avec assurance le rideau noir, l'ouvrant largement, ce qui me convient parfaitement.

Je ne peux quitter des yeux sa silhouette qui s’éloigne, détaillant chacun de ses mouvements, chaque nuance de son attitude. Je suis envoûté par l’assurance qui se dégage de sa marche, les mains plongées jusqu’au fond de ses poches. Mes prunelles glissent le long de son dos, se concentrant sur le balancement rythmé de ses épaules à chaque enjambée qu’il fait. Puis, de manière inexplicable, mon regard s’attarde bien plus que de raison sur ses fesses parfaitement moulées, qui exercent sur moi une attraction incompréhensible. Ce n’est pas tant une envie de les toucher, mais…

En vérité, je peine à expliquer cet intérêt. Je n’arrive pas à saisir pourquoi, lors de nos échanges épisodiques, un tourbillon d’émotions déroutantes m’assaille sans prévenir.

Alors que Matt se retourne vers moi près de la sortie, nos regards s'entrecroisent et je suis immédiatement captivé par la profondeur et l'intensité qui émanent de ses yeux. Il y a en lui une qualité mystérieuse qui me fascine, qui déclenche en moi une attraction indéniable, mais que je suis incapable de définir avec précision. C'est comme si une partie de moi le désirait ardemment, non pas de manière charnelle, mais sur un plan plus profond, celui du cœur, de l’âme. Un sentiment si puissant qu'il défie toutes les limites.

Un regard éphémère échangé, et je me sens englouti, terrassé. Oui, Matt a ce pouvoir de chambouler mon monde jusqu’à son essence même. Cependant, ce n’est pas une faim charnelle qui me ronge, je n’ai pas besoin du frôlement de sa peau ou de l’intimité physique pour alimenter mon affection pour lui. Il lève une main en un salut silencieux, puis disparaît derrière les portes, me laissant seul, stupéfait et submergé dans le tourbillon de mes pensées.

Mon téléphone s’anime, me sortant de mes réflexions embrouillées. Jetant un regard à l’écran, je constate que Matt m’a envoyé un message.

De Matt : Je peux toujours te voir, bouffon ! Arrête de faire la moue et laisse-moi enfin filer, tu veux bien !

Je relève la tête, un sourire espiègle se dessinant sur mon visage. Matt se trouve dehors, face à moi, affichant un large sourire.

D’Aaron : Je n’ai rien dit !

De Matt : Pas à moi, imbécile. Mais je te connais suffisamment bien pour deviner que tu aimerais que je reste.

D’Aaron : Absolument pas.

De Matt : J’ai du mal à te croire.

Je lève de nouveau les yeux vers la vitre, lui montrant ostensiblement mes deux majeurs, geste qu'il accueille avec un éclat de rire. Tout en riant, il me fait signe de regarder derrière moi.

Avant même que j'aie le temps de me retourner, je sens quelqu’un me saisir par l'oreille et la tirer. Matt se tord de rire contre la vitre du bar, sa silhouette se contorsionnant sous l’effet de son hilarité incontrôlable. Ses joues se teintent d’une nuance rosée, ses yeux se plissent et son rire résonne jusqu'à moi.

— Aaron, tu arrêtes de faire le malin dans mon bar, tu m’entends !

— Aïe… D’accord, d’accord… j’abandonne ! Je grimace alors qu’elle intensifie la pression sur mon oreille, mon corps fléchissant sous la force de son emprise. Je jure que je vais me tenir tranquille, ok…

— Bien, ça me semble raisonnable, marmonne-t-elle, relâchant finalement son emprise sur mon oreille.

Je m’affale de nouveau sur ma chaise, mes yeux rivés sur Matt, qui est littéralement tordu de rire. Son amusement semble avoir atteint des sommets, sa tête basculant vers l’arrière, ses épaules tremblant sous les soubresauts de son rire contagieux. Juste au moment où je pensais que la situation ne pouvait pas être plus hilarante, mon portable se met à vibrer.

De Matt : Ton acte m'a littéralement cloué le bec. M. Dur-à-cuire qui démontre une part de savoir-vivre, c'est digne des gros titres. Et ce self-contrôle, d'où le tires-tu ? Je suis impressionné, tu ne serais pas le dirigeant d'un monastère dans ton temps perdu par hasard ?

D’Aaron : Va te faire voir, espèce de crétin ! Et juste pour que tu le saches, je suis un mec charmant, respectueux et carrément irrésistible.

De Matt : Irrésistible pour qui ? La vieille Georgette ?

D’Aaron : Très original. Allez, décampe avant que je me pointe et que je te montre à quel point je suis irrésistible.

De Matt : Qui sait… peut-être que j’ai déjà constaté à quel point tu peux être irrésistible…

Son dernier message me laisse sans voix, je lève les yeux rapidement pour le regarder, mais ce salaud s’est déjà éclipsé.

D’Aaron : Viens donc me le dire en face, imbécile.

De Matt : Non merci, j’ai rendez-vous avec quelqu’un de bien plus irrésistible. À plus, ne m’attends pas ce soir, je ne rentrerai probablement pas à la maison.

Je mets mon téléphone de côté avec une pointe de tristesse, mais bon, il ne va pas passer à côté d’une nuit endiablée pour moi. Je dois faire face au fait qu’il a une vie… disons, « sexuelle » en dehors de notre bulle. D’habitude, nous sommes du genre à partager nos escapades amoureuses, mais Manon, la petite nouvelle dans les bras de Matt, ne connaît pas encore ce côté privé de notre amitié. Mais qui sait, peut-être qu’un jour, elle sera partante pour un trio ? Ça pourrait être incroyable. Lui. Elle. Et moi. Dans un tourbillon de passion dévorante.

Revenons toutefois à la manière dont Matt navigue entre Manon et Tiffany. C'est comme s'il oscillait entre un lion et un chaton. Il me semble que Matt est actuellement dans une phase d'exploration personnelle et physique, tentant de trouver son propre équilibre. Et je peux vous dire que la balance est significative : d'un côté, il y a la douceur et, de l'autre, la fougue.

Je me propulse hors du canapé avec une détermination farouche, traversant l’espace confiné du bar sous l’œil assassin de Manon. Elle me salue en agitant son majeur, son visage exprimant un cocktail toxique de rage et de mépris. Je ne peux m’empêcher de lui renvoyer un regard glaçant, répondant à son insulte avec une intensité comparable, tout en jetant un coup d’œil prudent pour m’assurer que Maude n’est pas dans le coin.

Avec une détermination sauvage, je quitte le bar, franchissant le seuil pour m’immerger dans la nuit satinée. Les néons de la rue brossent des arcs-en-ciel dans la pénombre, mais mon esprit est loin de cette réalité étincelante. Mes pensées sont un tumulte, un tourbillon de confusion et d’interrogations qui tournent sans fin, refusant de se calmer. Je suis dans ma propre sphère, déconnecté du brouhaha et de l’effervescence de la rue, englouti par le silence déchirant de ma solitude.

Je m'immerge dans la fraîcheur de l'air nocturne, savourant la morsure d'un octobre plus froid que la normale. Pour moi, le frisson glacé de l’hiver a toujours surpassé la chaleur suffocante de l’été. Je sors un joint de ma poche et le craque avec une sorte de désespoir affamé, laissant le goût piquant de la fumée envahir mes sens. Même après des années de flirts incessants avec cette herbe, je conserve un espoir têtu que, peut-être, ce joint pourrait apaiser la fureur qui brûle en moi. Mais c’est une vaine aspiration. Cette rage est mon ombre persistante, enracinée en moi, brûlant de l’intérieur comme un brasier inextinguible.

Un chagrin abyssal m’envahit alors que je me trouve face à la réalité amère de ce qui aurait pu être. Si seulement je n’avais pas été hypnotisé par l’écran lumineux de mon portable ce jour-là… Si seulement j’avais vu Arthur gambader imprudemment dans la rue pour rattraper son ballon. Peut-être aurais-je pu plonger à temps, dévier le cours de cette tragédie qui l’a frappé de plein fouet. Si seulement je n’étais pas en train de rire de la dernière blague de Camille, si seulement mes yeux avaient été fixés sur lui plutôt que sur ce foutu écran. Ces pensées torturantes, ces « si seulement », me hantent sans relâche, tournoyant dans ma tête comme des vautours affamés.

Voilà maintenant trois ans que ce sentiment de culpabilité ravageur me ronge de l’intérieur. Trois ans que chaque jour est une bataille contre ce démon intérieur, ce remords perpétuel qui me fait revivre ce scénario alternatif dans lequel j’aurais fait un choix différent. Peut-être que dans cette réalité, mon frère serait encore là, vivant, riant, souriant. Peut-être que notre famille ne serait pas dévastée par ce chagrin insurmontable qui nous a été imposé à cause de ma négligence. Cette douleur déchirante, cette auto-flagellation incessante, tout cela est le fruit de ma négligence. J’en porte la responsabilité, la culpabilité… et c’est un fardeau que je suis condamné à porter pour toujours.

Mais dans ce dédale de culpabilité, je ne suis pas le seul à errer. Une part de moi nourrit une rancœur infernale envers mes parents pour leur imprudence ce jour fatidique. Si seulement ils avaient prêté un peu plus d’attention, peut-être que notre petite étoile, Arthur, serait encore parmi nous, illuminant nos vies de sa présence enfantine. Mes parents, eux aussi, ont payé le prix de leur insouciance, condamnés à porter le deuil éternel de leur bout de chou de six ans. Ils sont pris dans cette toile tissée de conséquences désastreuses, tout comme moi, et nous sommes tous contraints de supporter le poids de nos fautes. Cette tragédie, telle une cicatrice béante, a marqué notre existence de manière indélébile, et son souvenir persiste, gravé à jamais dans nos cœurs.

Et puis, il y a nos voisins, Fred et Aurélie. Putain, ils étaient là aussi ce jour-là ! Leurs célébrations annuelles pour l’anniversaire de leur fils Sam, ce gamin de neuf ans, me foutent la rage. C’est comme si ce putain de jour n’avait jamais existé, comme si ce drame n’avait jamais happé la vie d’Arthur. Alors oui, ils font aussi partie de ce foutu cauchemar qui hante mon esprit. Leur image se superpose à celle de mes parents, et ma culpabilité s’étend, se faufile dans chaque recoin de cette histoire, rajoutant une couche de rancœur et de regret à cette foutue réalité qui est la mienne.

Au final, nous sommes tous coupables de la mort de mon petit frère. Mes parents, Camille, Fred, Aurélie, leur gamin Sam, et moi. Et pourtant, la personne la plus à blâmer dans ce foutu merdier reste la conductrice, celle qui a arraché Arthur à la vie et a plongé mon existence dans un chaos sans nom. Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre, ni même quand le moment sera venu, mais une chose est certaine : je vais lui faire payer. Et qu’importe ce que cette vendetta me coûtera, je suis prêt à tout. Elle va payer, et ce sera de ma main qu’elle recevra le prix de son crime.

~

Salut petit frère,

Trois longues années se sont écoulées depuis que tu as quitté ce monde, et pourtant, la douleur qui me dévore reste aussi intense qu'au premier jour. En écrivant ces mots dans mon journal, j'aimerais tellement pouvoir te dire tout ce que mon cœur a gardé en silence depuis ton départ.

Tu es parti, emportant avec toi la chaleur qui colorait mon existence, la promesse d'un futur radieux. Depuis, je vis comme dans un abyssal néant, où seule la rage a trouvé refuge. Cette colère, aussi vorace qu'impitoyable, a métamorphosé mon âme en une version assombrie et meurtrie de l'être que tu as autrefois connu. J'ai perdu cette insouciance, cette clarté qui me paraissait si innée auparavant, et au fond de moi, je sais que je ne pourrai jamais la retrouver.

Les jours s’écoulent, et pourtant, l’ombre lancinante de ton absence reste une torture constante, chaque seconde me rappelant avec une brutalité sans merci que tu n’es plus là. Je m’accroche désespérément à ces bribes de toi, à ces souvenirs éphémères qui semblent se dérober à chaque instant, sentant mon âme se vider, comme dépossédée de sa flamme vitale. Les images de ces moments précieux que nous aurions dû partager continuent de tournoyer dans ma tête, ces fragments de bonheur qui ont été brutalement arrachés de nos vies.

Mais je ne laisserai pas mes larmes couler. Je refuse de succomber à ce chagrin dévastateur qui menace de m'engloutir. Ma souffrance est si intense, si profonde, si palpable qu'il m'est plus facile de laisser éclater ma rage. La colère est une émotion moins torturante, elle me fournit une raison de continuer à vivre, de me battre contre ce monde qui t'a injustement arraché à moi.

Sache, petit frère, que ton absence est une éternelle douleur qui me hante à chaque seconde. Alors que ma plume glisse sur le papier, j’ose espérer que mes mots parviennent jusqu’à toi, là où tu es maintenant, caché derrière l’invisible. Sache que ton espace dans mon cœur n’a jamais vacillé, il est aussi solide qu’au premier jour. Mon amour pour toi est inébranlable, et cette affection profonde ne s’éteindra jamais. Même si ton rire a cessé de résonner dans le monde des vivants, notre lien fraternel est ancré en moi, incassable.

Ton grand frère qui t’aime plus que tout.

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April 1, 2023, 8:59 a.m. 8 Report Embed Follow story
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Ja Jenna auban
Premier chapitre très bien. Un mélange de colère, de tristesse et d'humour. Une fin émouvante.
September 10, 2023, 14:28
AC Alice Cambrat
J'ai adoré le 1er chapitre qui est bouleversant et vraiment bien écrit.
May 31, 2023, 16:33
BA Béné Adrien
Bouleversant
May 14, 2023, 20:18
CB Carla Bondit
c'est très bien écrit et très émouvant.
April 25, 2023, 16:02
Miss Emma😎 Miss Emma😎
C’est émouvent😖😖😪😓😥
April 24, 2023, 17:00

  • David Jessie David Jessie
    Je suis ravie que ce chapitre vous ait émue. J'ai essayé de retranscrire avec justesse les sentiments complexes qui peuvent surgir lorsqu'on perd un être cher. Votre retour positif me touche énormément. April 25, 2023, 15:27
GE Glah Emma
Ça fait fondre le cœur 😭
April 17, 2023, 12:15

  • David Jessie David Jessie
    Merci pour le commentaire, ça fait chaud au cœur 😉. April 17, 2023, 12:44
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