A
Augusto Salvador


Leurs amies, grandes et petites. Claude Farrère, né Frédéric-Charles Bargone le 27 avril 1876 à Lyon, mort le 21 juin 1957 à Paris, est un officier de marine et un écrivain français.


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LA DOUBLE MÉPRISE DE LORELEY LOREDANA CHANTEUSE D'OPÉRA-COMIQUE


à Pierre Louÿs, fidèlement,

C. F.

Je me souviens exactement de la date, et pour cause: ce fut le 31 décembre 1894,—un lundi,—que, pour la première fois, j'entendis parler de Loreley Loredana, chanteuse d'opéra-comique. Il pleuvait, ce lundi-là,—comme il pleut souvent à Brest en Bretagne;—et la rue de Siam n'était qu'un cloaque, où le pas des passants faisait gicler des feux d'artifice de boue.

Moi, j'avais quitté ma Victorieuse, après dîner, par le canot-major de huit heures. Sur rade, il ventait grand frais du sud-ouest,—c'est suroît qu'il faut prononcer;—et le clapotis était dur. Dans la chambre du canot, nous étions cinq ou six enseignes à nous pelotonner en tas, sous l'abri douteux des manteaux suédois à grand capuchon. Au pont Gueydon, il fallut faire queue pour accoster, car les embarcations de toute l'escadre arrivaient ensemble. Les patrons s'injurièrent comme il sied, et il y eut des avirons engagés.

Comme enfin notre tour arrivait de crocher nos gaffes dans les boucles du ponton dansant, un tout petit youyou se faufila à poupe du gros canot de la Victorieuse, et une voix que je connaissais m'interpella:

—Ho! Fargue!... ne «cule» pas, vieux!... ou tu m'envoies balader en grande rade!...

Le canot repoussait en effet le youyou fort au large. J'intervins. Un de nos brigadiers sauta debout sur notre étambot, et, d'une poignée de main, attira le malencontreux esquif.

L'officier qui m'avait nommé put sauter à terre:

—Merci,—me dit-il.

Je lui tapai sur l'épaule. Son manteau ruisselant inonda ma main.

—Comment va, Malcy?

—Comme la pluie!

—Et ce départ?

—Pour mercredi, d'après-demain en huit. Nous n'attendons plus que le bon plaisir de la direction d'artillerie. Ils n'en finissent pas de compter leurs obus!

Nous grimpions l'interminable escalier qui joint ensemble la ville et le port militaire. J'interrogeai encore Malcy:

—Alors, mercredi?

—On dérape. L'Ardèche saura ce que c'est que de rouler.

—Dame! vraie saison choisie pour traverser la mer de Biscaye!

—Oui. Rien que d'ici à Madère, on peut compter sur plusieurs coups de tabac...

L'Ardèche était un transport de guerre, déjà fort décati, que la rue Royale, toujours économe, prétendait expédier, bourré d'obus jusqu'aux écoutilles, vers notre division navale de l'Atlantique, laquelle, forte d'une demi-douzaine de croiseurs ou d'avisos, rôdait à son ordinaire des Antilles aux Açores et de Terre-Neuve à Tristan d'Acunha. La malheureuse Ardèche, avant d'avoir correctement réparti ses obus entre tous ces vaisseaux errants, pouvait en effet s'attendre à essuyer quelques baisses barométriques.

—Au moins,—demandai-je à Malcy,—es-tu logé tant bien que mal, sur ton sale «rafiot»?

Il rit:

—Dans un chenil: six pieds de long, cinq de large; point de hublot; ni air, ni jour; et nulle électricité, comme bien tu penses! Mais je m'en moque un peu! On verra demain. Aujourd'hui, j'ai touché mes «avances». Trois mois, sept cent vingt balles, vieux! On va en faire, une de ces noces!... Pas?

Il battit un entrechat, et faillit s'étaler dans la boue liquide. Nous avions terminé notre ascension, et nous foulions maintenant le pavé brestois. Je dis le pavé, car il ne pouvait être question des trottoirs, trop étroits pour notre bande. L'escadre entière avait donné, en l'honneur de la saint Sylvestre. Et nous étions bien quarante officiers à remonter en rangs serrés l'inévitable rue de Siam, toute moutonnante de parapluies déployés.

—Tu n'as rien à faire, ce soir, toi? Donc, je t'enrôle. On va se transplanter au théâtre, pour commencer. J'ai des mouchoirs à carreaux plein mes poches. On entendra un acte du drame, on se mettra à pleurer, avec sanglots, on se fera fiche à la porte, et une fois «l'atmosphère créée», on ira manifester de café en café, jusqu'à ce qu'il fasse jour ... ou, au moins, jusqu'à ce qu'on nous ait conduits au poste. Ça colle, vieux Fargue?

J'acceptai, d'enthousiasme. Nous avions vingt-deux ans chacun, il est bon de le rappeler...

Or, au coin de la rue d'Aiguillon, l'affiche du théâtre, une belle affiche verte qui déteignait sur tout son mur en petits ruisseaux couleur de printemps, nous arrêta au passage. Et Malcy la voulut déchiffrer.

—Heu—fit-il.—On joue ... heu ... on joue Les deux Orphelines ... avec Le Misanthrope et l'Auvergnat pour finir ... et Manon pour commencer...

(Les veilles de grandes fêtes, les théâtres de province ne reculent pas devant un programme abondant).

Malcy poursuivait sa lecture:

—Lever de rideau à ... sept ... heu ... non! à six heures trois quarts... Il y a du bon! il est huit heures et demie: Manon sera bâclée dans trente-cinq minutes. Et le drame viendra. Nous n'avons rien de mieux à faire qu'à entrer tout de suite. Nous réjouirons nos cœurs ... et nos oreilles ... du refrain si honorablement connu:

—«Capitaine, ô gué!
Es-tu fatigué
De nous voir à pied?—Mais non! mais non!
Car on n'est pas mal
Sur un bon cheval...

«Allons! la barre à droite, toute! et en avant des trois machines, quatre-vingt-dix tours!...

Il entrait dans la rue d'Aiguillon, laquelle mène au théâtre. Je lui emboîtai le pas.

—Dis donc!... au fait... Malcy? sur l'affiche, as-tu vu qui chante Manon?

—Manon!... quelle femme?... Oui, j'ai vu: une nommée Loreley Loredana, chanteuse d'opéra-comique... Loreley Loredana, parfaitement! avec simplicité!... Connais pas, d'ailleurs.

Moi non plus, je ne connaissais pas...

27. Mai 2018 22:10 0 Bericht Einbetten Follow einer Story
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